Rencontre autour de La Religion



Rencontre autour de La Religion
Avec Tim Willocks, Benjamin Legrand et Luc Jacamon
Animée par Agnès Deyzieux
Organisée le 18/11/16  par la Librairie Bulle
Traduction de l’anglais assurée par Arnaud Touplin
Retranscription à l’écrit par Thierry Buttaud
Album paru le 19/10/2016 chez Casterman 
 Agnès Deyzieux : Bonsoir à tous, merci d’assister à cette rencontre où nous avons  la chance de recevoir toute l’équipe de l’album La Religion : Benjamin Legrand, scénariste, Luc Jacamon, dessinateur mais aussi l’éditeur, Casterman et... Tim Willocks qui est à l’origine du roman du même nom.
Tim Willocks, vous avez  écrit plusieurs polars ou romans noirs (Bad City Blues, Les Rois écarlates) et en 2006 vous écrivez  La Religion que l’on peut qualifier de roman historique. Est-ce que c’est par envie de changer de registre que vous écrivez un roman historique ou pensez-vous qu’il y a une certaine proximité avec le roman noir ?

Tim Willocks : Je pense qu’il y a quelques similarités entre le roman noir et le roman historique. Particulièrement Les douze enfants de Paris, qui est donc la suite de La Religion et qui est comme un grand polar. 
TW : La guerre est le plus grand crime. Dans mon esprit, je n’ai jamais changé d’attitude vis à vis de l’écriture. Je ne pense pas que je vais arrêter d’écrire du roman noir et que je vais me mettre à écrire un roman historique, je veux juste raconter une histoire. Dans d’autres genres comme l’opéra et le cinéma, on ne dit pas du metteur en scène ou du réalisateur qu’il fait du film historique ou qu’il fait du western. En fait, il est libre de faire ce qu’il veut réaliser. Dans mon esprit, ce n’est pas un grand changement mais juste une voix différente, avec différentes techniques pour écrire La Religion mais ce n’est pas quelque chose de vraiment différent.
AD : Qu'est-ce qui vous a donné envie de raconter ce récit qui se passe au 16ème siècle et plus précisément qui va se concentrer sur le siège de Malte en 1565 ? En quoi cette période donnait-elle un cadre différent à votre récit ?
TW : En fait, toutes ces histoires du siège de Malte, c’est à couper le souffle, ça brise le cœur et je ne pouvais pas résister de raconter une histoire pareille. C’est une opportunité pour explorer tant de différents aspects de ce qu’est un être humain. C’est une façon d’explorer différentes qualités comme le courage, l’ingéniosité, l’endurance, l’amour, mais aussi des défauts comme la cruauté, la folie, la stupidité ; c’était donc quelque chose d’immense à raconter. C’est également une période historique, avec beaucoup de changements en Europe, au milieu de la Renaissance, très intéressante à explorer.

AD : La Religion, c'est ainsi que se sont surnommé les chevaliers chrétiens de l’ordre des Hospitaliers, ces moines-soldats qui s'apprêtent à défendre Malte contre la terrible et bien plus puissante armée de Soliman le Magnifique. Vous avez donné ce titre à votre roman et de fait, la religion dans cette période est très présente, avec des manifestations d’intégrismes religieux, autant musulman que chrétien. Vous-même, avez-vous été élevé dans une religion particulière et est-ce un thème qui au-delà de cette époque vous concerne particulièrement ?
 
TW : Le titre vient du fait que les chevaliers de saint Jean disaient « nous, nous sommes la religion ». C’est aussi une référence au conflit entre les chrétiens et l’Islam et en particulier à une religion de la guerre parce que pour ces hommes, la guerre est une religion. Je pense que la guerre est toujours une religion, d’un point  de vue profondément psychologique. C’est aussi une façon d’explorer les paradoxes et les conflits de la religion, avec les côtés constructifs et positifs mais aussi destructeurs de la religion. Dans notre monde moderne séculaire, ça concerne dix pour cent de la race humaine, on n’y pense pas forcément sérieusement. On pense que la religion est quelque chose de stupide, de surnaturel. En 2016, il y a quand même 80 ou 90% d’entre nous qui avons une forme de croyance, on est une espèce attachée à la religion mais plus au sens mythique, c’est quelque chose en nous. Je me sens proche émotionnellement de ces gens-là. À la lumière crue de nos personnalités, on se rend compte que nos vies n’ont pas de sens. On est comme des mouches, on est un organisme qui vit et qui meurt et c’est tout. La vérité scientifique est terrifiante et désespérante. Et donc, on a ce besoin de croire qu’on a plus de valeur. Dans un sens, ma religion, c’est devenu l’art : écrire, et se consacrer à la beauté. Mais l’univers, le cosmos sont complètement indifférents à Shakespeare, Beethoven, Picasso ! Donc, nous devons respecter la religion et ce besoin de croyance est au cœur du roman.

AD : En France, Télérama a écrit à propos de votre roman  que « les batailles ressemblent à de fascinantes boucheries, ça pue le sang, la mort, la merde, et le lecteur est emporté par une multitude de scènes obsédantes, écrites par le fils caché de James Ellroy et d'Umberto Eco. » Est-ce que cette filiation vous convient ?

TW : C’est très flatteur. La comparaison qui me plaît le plus était dans un magazine français Transfuge qui m’a comparé à Sam Peckinpah et à Dante. James Ellroy est un grand écrivain je pense, il a un courage incroyable d’être un auteur très laid. Ce qu’il écrit est très laid, il n’est pas plaisant à lire mais c’est tellement intense, tellement percutant. Il faut un grand courage à un auteur pour écrire ce genre de choses.

AD : Je vais maintenant me tourner vers Benjamin Legrand. Vous êtes à la fois homme de cinéma et de livre, romancier et scénariste pour la bande dessinée, vous avez scénarisé les volumes 2 et 3 du Transperceneige ainsi que la série L'Or et l'esprit, toujours en duo avec Rochette, une série que je vous recommande vraiment de lire d’autant qu’elle vient d’être rééditée chez Cornélius. Comment avez-vous découvert l'œuvre de Willocks et comment  êtes-vous devenu le scénariste-adaptateur de cette bande dessinée ? 
  
 Benjamin Legrand : J’ai une amie américaine qui est réalisatrice et chef monteuse, que je connais depuis des années et qui un jour me donne un livre à lire en me disant : « tiens, lis ça, c’est extraordinaire ! ». Je prends ce bouquin, c’était La Religion, en anglais. Je lis ce truc et je me dis : « c’est incroyable ! C’est qui le fou qui a écrit ça ? C'est génial ! C’est magnifique !». Je lui demande : « Est-ce que ça a été traduit en français ? », elle me dit non. Alors, je prends mon bâton de pèlerin, je fais le tour des éditeurs pour qui j’avais fait des tas de traductions parce que j’ai traduit une quarantaine de romans, et pas des moindres, dont Le bûcher des vanités, des romans qui sont assez difficiles à traduire et on me dit : mais non, c’est trop épais, ça va coûter trop cher en traduction, des choses comme ça… et puis, entretemps, les éditions Sonatine ont appelé l’agent de Tim pour lui dire qu’ils voulaient traduire ce roman en français. Susan m’en informe, je lui dis « dis à Tim que je veux absolument que ce soit moi qui fasse la traduction ! » Et donc, il a dit d'accord, les éditions Sonatine ont accepté, et c’est parti comme ça !

AD : Et qui a eu ensuite envie d’adapter le roman en bande dessinée ?

BL : Ça, c’est une autre histoire qui met en scène notre éditrice préférée, Christine…

Christine : Cela s'est fait par l’intermédiaire d’un responsable de la diffusion Casterman qui était ami de l’éditeur de Sonatine. C’est une espèce de chaîne humaine, on va dire. 

AD : Et donc, Benjamin Legrand,  vous avez été choisi pour être l’adaptateur ?

BL : Oui, parce que j’étais le traducteur, je connais le bouquin par cœur, ça aide pour adapter !

AD : Et comment vous êtes-vous rencontrés tous les trois ? Avec Luc Jacamon ?

BL : C’est re-Christine. Casterman avait dans l’idée de trouver un excellent dessinateur, je pense…

Chrisitne  : .. et de trouver un excellent projet à Luc Jacamon !

Luc Jacamon : Oui, moi à l’époque, ayant fini la série Le Tueur, j’étais à la recherche de quelque chose de différent et pour le coup, ça tombait bien.


AD : Ce n’est pas trop difficile de passer d’une ambiance très polar urbain à une ambiance quasi épique, homérique ?

LJ : C’est ce que je souhaitais, je voulais vraiment faire quelque chose de très différent. Là, j’avais une occasion absolument rêvée, et Christine m’avait parlé du bouquin que j’ai lu et absolument adoré. Je lui ai répondu très vite que j’avais très envie de faire ça.

AD : Au niveau de l’adaptation vous avez vraiment  suivi très fidèlement, il semble,  le roman non seulement dans son déroulement narratif, mais aussi dans les dialogues, dans les commentaires même qui sont pas du tout retouchés ? Qu’est-ce que vous vous êtes fixé comme règle ou comme contrainte d’adaptation quand vous avez démarré ?

BL : D’essayer d’en sauver le plus possible, tout en étant obligé d’en enlever beaucoup ! C’était très difficile, mais par exemple, j’ai voulu conservé la première page intégrale du livre parce qu’elle est tellement belle que je ne voyais pas pourquoi j’aurais changé une virgule. Ça collait tellement bien avec cette image de village à l’aube avec juste une petite lumière au loin, c’est parfait, je ne vois pas pourquoi j’aurais été abimer le texte de Tim. Mais après ça commençait à être plus dur.
AD : Et oui, parce qu’il y a 900 pages…

BL : C’est tellement foisonnant de beauté, de dureté, de violence et de tout ce qu’on veut mais c’est beau, donc c’était très dur de couper, c’était un crève cœur à chaque fois !

AD : Connaissiez-vous le nombre de pages dont vous disposiez au départ pour la bande dessinée ? Il fallait que chaque partie du livre tienne dans cette pagination ?

BL : Oui, dans le livre, il y a cinq parties, plus un prologue et un épilogue. J’ai beaucoup taillé entre le trois et le quatre.

AD : Vous aviez déjà tout le plan ?

BL : C’était facile, je le connaissais par cœur, je n’avais pas à le lire attentivement. J’avais passé huit mois à le traduire, samedi dimanche compris. Mille quatre cent feuillets ! Donc, on se dit : « la date limite de livraison c’est ça, bon, faut que je fasse combien de pages de traduction par jour ? Disons dix, ce qui est déjà énorme parce qu’il y a du style, ce n’est pas Robert Ludlum !. Et là, si je ne fais pas les dix pages dans la journée eh bien, le lendemain il faut que j’en fasse vingt ! Et en faire vingt dans la journée, ça ce n’est juste pas possible. Donc c’est dix pages par jour pendant huit mois, samedi et dimanche compris. Horrible. Et aprè,s rebelote, avec Les douze enfants de Paris qui font à peu près la même longueur. Quand on passe la page mille sur son ordinateur, ça fait étrange quand même !

AD : Le découpage est très agréable pour le lecteur, très aéré, avec de grandes cases, parfois des pleines pages, voire des pleines doubles pages. Comment avez-vous élaboré le storyboard ?
BL : J’ai fait d’abord un premier essai que j’ai envoyé à Luc et comme j’ai beaucoup écrit pour le cinéma et le dessin animé aussi, j’ai une certaine habitude du découpage et du timing. Dans l'ensemble, ça correspondait à peu près et quand ça ne lui allait pas, il prenait son téléphone et il m’appelait et on discutait et ça c’est très, très bien passé !


LC : Moi, j’essaie toujours de trouver dans les pages un certain équilibre. Avoir de la fluidité, certes, mais aussi au niveau de l’espace…

AD : de trouver une harmonie…?

LC : oui, une harmonie, voilà. Faire une succession de strips de trois cases les uns en dessous des autres, ce n’est vraiment pas ma tasse de thé. Finalement, par rapport au cinéma, on a cet avantage là de pouvoir jouer avec l’éclairage donc, autant y aller à fond avec ça, ça ajoute beaucoup au niveau de ce qu’on veut exprimer.

AD : Est-ce que Tim Willocks a regardé en cours de réalisation ce que vous faisiez ou il a vu la bande dessinée une fois qu’elle était terminée ?

BL : Ah non, on lui envoyait au fur et à mesure des images, il a eu droit au casting des visages...

LC : Il a pleuré le jour où on lui a envoyé celui de Tannhäuser !

 AD : Il était content ?

LC : Oui très, très content. Pour moi, aborder un tel morceau, c’était au début extrêmement intimidant et effrayant, c’est le terme. Et donc avoir Tim Willocks qui me renvoie ce ressenti là, c’était extrêmement encourageant évidemment, et important.

AD : Tim Willocks, votre héros a plusieurs identités qui correspondent à plusieurs moments de sa vie (Mathias, Ibrahim) puis il s'attribue Tannhäuser comme nom de guerre. C’est un nom de chevalier mais aussi, selon la légende, de poète et d’amoureux éternel. Pourquoi avoir choisi ce nom ?
 TW : Et bien, c’est un super nom !  Il a un son puissant. Le premier morceau de musique classique que j’ai entendu pour la première fois de manière consciente c’était l’ouverture de Tannhäuser, au  milieu des années soixante quand mes parents m’ont acheté pour la première fois un petit tourne-disque. Un ami de ma mère lui avait prêté un album d’ouverture d’opéra. Je n’avais aucune idée de qui était Tannhäuser ou Wagner. Mais j’ai gardé dans mon esprit ce nom.
Dans le roman, le vrai nom du garçon est Mathias Smith, car son père est forgeron (blacksmith en anglais). Mais après avoir été enlevé par l'armée turque, il veut prendre un nom de guerre et ce sera Tannhäuser !

AD : C’est un personnage tout en muscle et en coups de gueule pour qui dire : "ne m'attends pas, j'ai encore deux hommes à tuer avant minuit" n'est pas un problème. Mais qui est ultra sensible à la musique, l'amitié et l'amour du fait de son parcours…

TW : C’est un homme du monde ! Dès la première page de la bande dessinée, on voit qu’on lui prend tout ce que sa vie aurait pu être. C’est une idée intéressante car la vie va dans une direction et là, il y a un changement brutal pour toujours dans une autre direction. Il se retrouve dans cette culture étrangère où il est entraîné pour devenir un tueur fanatique musulman. Pour survivre à cela, il lui faut cette force qui est liée à son intégrité intellectuelle et spirituelle qui le met face à plusieurs contradictions. Au 16e siècle, les vrais gens pouvaient être très différents. Ils pouvaient être soldats, alchimistes, artistes, scientifiques, les vies pouvaient aller dans toutes les directions. De nos jours, on a  l’impression d’avoir beaucoup de liberté en tant qu’individu mais en fait, pour la plupart d’entre nous, on ne s’écarte pas tellement de notre chemin, on suit la piste que nous donne la société. A l’époque, les gens pouvaient avoir des vies plus extraordinaires. Il incarne cet âge de curiosité, d’aventure et de courage.


AD : Et Luc, avez vous trouvé facilement les caractéristiques graphiques de ce personnage de Tannhäuser ? Vous vous inspirez d'acteurs ou de personnes du réel ou vous êtes resté proche du roman ?

LC : Effectivement, j’ai parfois le réflexe de m’inspirer d'acteurs mais l’avantage de ce projet là, c’est que j’ai lu un livre richement détaillé sur le personnage lui-même et donc ça suffisait .

AD : Une question, encore pour Tim. Vos personnages ont tous un passé mystérieux, mais dont on sent la lourdeur ou la noirceur (Tannhäuser, Amparo, Clara, La Valette). Est ce c'est votre formation ou votre ancien métier de psychiatre qui vous incite à donner ce passé aux personnages tout en ne révélant pas tous les détails aux lecteurs ou c’est juste une technique de romancier ?

TW : Le concept de psychologie n’existait pas au 16e siècle. Nos vies, nos perceptions sont dominées par l’idée freudienne fantastique que ce que nous sommes est déterminé par notre expérience, et ce concept n’existait pas à l’époque. Il y a une évolution ; d’après les sources modernes, nous sommes plus liés à notre génétique qu’à notre vécu. Même si dans le livre les personnages ont leur passé, j’ai voulu qu’ils aient leur propre identité et non pas se reposer sur cette idée freudienne de notre vécu. Si on lit des journaux du passé, ce n’est pas si introspectif qu’au sens moderne, les gens n’étaient pas obsédés à ce point par leur passé. Ils étaient tournés vers l’extérieur et pas vers eux-mêmes. Peut-être serait-il temps de revenir à cela !

AD : Le roman développe les pensées intérieures des personnages, leurs désirs, leurs motivations. Comment la bande dessinée, selon vous, peut-elle retranscrire ce qu’elle ne peut dire ? Comment fait-on passer par le dessin justement ces motivations qu’on ne peut pas dire ?
BL: Il y a quand même le texte ou une voix off qui permet d’aller au fond de ce que pense un personnage. Mais Luc a l’immense qualité de faire passer les émotions dans le dessin, ce qui n’est pas le cas de tous les dessinateurs. C’est son émotion personnelle qui doit sans doute passer dans son crayon électronique.

LJ : On est notamment dans une histoire où les personnages sont très expressifs. Le personnage de Tannhäuser, c’est quelqu’un qui peut-être dans la rage la plus ultime comme dans la poésie…

BL :… dans l’émotion. Comme dans la scène où il entend la musique. Les pages du bouquin sont magnifiques et la page de bande dessinée que Luc a faite est aussi superbe.
LJ : C’était intéressant et motivant pour moi sur ce point précis là aussi. Je sors de la série du Tueur où le personnage est beaucoup plus introverti et froid et n’exprime pas grand-chose. Ici, je pouvais vraiment travailler cela graphiquement ; ça se joue au niveau des expressions, du regard. Je redis ça souvent, mais Tim a eu la justesse de regarder le personnage de Tannhäuser sur la couverture et de voir que son regard est double. Si on prend les yeux individuellement, il y a un œil qui exprime plutôt de la rage et un autre plutôt de la tristesse ou de l’émotion. Il y a une dualité qui s’exprime à travers le regard dont je n’avais pas complètement conscience quand je l’ai fait. C'est intéressant d’avoir le regard des autres pour mettre en évidence certaines choses comme ça. 

 
AD : Le lecteur va pas mal voyager, dans de très beaux décors, depuis les montagnes noires des Carpates à la ville ensoleillé de Messine jusqu'à l'ile de Malte où la mer est omniprésente. Avez-vous eu besoin de vous appuyer sur une documentation importante ?

LJ : Oui forcément, même si d’un point de vue architectural, c’était beaucoup plus compliqué parce que le conflit lui-même a beaucoup détruit de bâtiments. Il y a eu un tremblement de terre énorme par la suite, beaucoup de choses ont été reconstruites, ça a été très urbanisé. Aujourd’hui aussi, je n'ai pas beaucoup de documentation là-dessus si ce n’est effectivement celle de Tim qui est très précise. Il a fait un vrai travail d’historien dans le livre, donc j’ai pu m’appuyer là dessus. Après visuellement, c’est vrai que sur internet, on arrive quand même à trouver des choses, il y a des gens qui se sont penchés sur la question et je suis tombé notamment sur un site qui traite de l’architecture militaire. Sur ce site là, quelqu’un a reconstitué en 3D le fort Saint-Elme, le fort Saint-Ange de l’époque avec une vision sous tous les angles.

Présentation en 3 D de Dr. Stephen C. Spiteri Ph.D., 2012.
Source : militaryarchitecture.com


BL : Ça va l’aider pour la deuxième partie !

LJ : Donc, j’ai pu avoir des choses vraiment concrètes. Pour d’autres, j’ai un peu plus de liberté, mais il faut quand même que ce soit cohérent avec l’époque, ce n’est pas évident.

AD : Et les vêtements ?

LJ : En tant que dessinateur, j’ai une position particulière là-dessus. On raconte une histoire d’abord, on ne fait pas un documentaire, donc oui, il faut rester dans les clous, donner une vraisemblance, mais on est là essentiellement pour exprimer des émotions.

AD : La couleur apporte beaucoup de flamboyance au récit, avec des rouges, des bleus très soutenus, un aspect parfois hyper réaliste, des moments très éclairés ou très sombres. Comment travaillez-vous cette mise en couleurs et ce travail de la lumière, avec des outils numériques ?

LJ : C’est numérique, oui, absolument. C’est un aspect du travail que j’aime beaucoup faire. Mon dessin en noir et blanc au départ ne se suffit pas vraiment à lui-même. Les ombres, je ne les dessine pas, c’est la couleur qui s’en charge, tout ce qui est clair obscur, c’est à la couleur que ça se révèle. Je fais cela de façon assez instinctive. Le lieu implique que je sois obligé de faire passer la chaleur, donc la lumière. Puis, l’intensité de l’histoire implique aussi des couleurs un peu flamboyantes, un peu vives, un peu forcées.
AD : Tim, il y a pas mal de violence dans votre roman avec de grandes batailles épiques, des combats sanglants au corps à corps. Est-ce qu’il y a un plaisir pour vous à écrire des scènes violentes ?

TW : Je suppose que oui, je prends beaucoup de plaisir ! Beaucoup d’entre nous sommes coupables de ressentir ce plaisir transgressif. C’est l’histoire du théâtre, du divertissement, de la littérature de différentes manières. J’ai lu Henry Miller et je me souviens qu’il disait avoir lu  l’Iliade d’Homère et il en était horrifié. C’est l’histoire la  plus horrible, brutale et cruelle qu’ il n’ait jamais lu et ça l’est toujours ! Il me semble que la fascination que l’on a vis à vis de la violence en littérature, au cinéma ou au théâtre est le miroir de notre réelle obsession historique à la violence. C’est un des grands sujets, un des grands mystères de l’espèce humaine. Pourquoi sommes-nous si violents ? Pourquoi est-ce que nous en prenons plaisir ? Depuis la Seconde Guerre mondiale, on est entré dans une culture plutôt pacifiste globalement. Les destructions ont été tellement terribles et importantes pendant la Seconde Guerre mondiale, ça allait au-delà de nos pires fantasmes psychotiques et on était choqué par ça, on ne pouvait plus admirer cette violence. Depuis des milliers d’années, la race humaine a admiré cette violence, c’était comme une vocation. D’une certaine façon, c’est une chose terrible mais d’un autre côté, c’est une terrible vérité. C’est une vérité que j'essaie d'enquêter de l’intérieur. C’est pour ça que le livre est aussi terrifiant et violent. J’ai un sentiment contradictoire par rapport à cette violence parce qu’on ne peut pas éviter cette vérité ; on peut condamner cette violence mais en même temps ça reste quelque chose très populaire et fascinant. 
AD : Benjamin, pensez-vous que cette bande dessinée peut amener un nouveau public vers l’œuvre de Willocks ou ce n’est pas forcément l’intérêt ?

BL : Ce serait bien, oui, c’est un roman tellement beau. J’ai l’impression qu’on touche là,  à une vraie bonne adaptation, on est arrivé avec Luc à faire quelque chose de terriblement bien, même si c’était terriblement dur à faire !

AD : Quatre volumes sont prévus, vous êtes déjà bien avancés ?

BL : Je suis au milieu du quatrième volume. J’ai arrêté un an. Je n'en pouvais plus parce que j’ai fait les quatre à la suite. C’est bien, parce que maintenant, grâce à cette année d’arrêt, j’ai un certain recul. J'ai repris ce que j’avais fait et j’ai refait un énorme boulot pour re-serrer encore.  Ensuite, je vais faire de même, mais je voudrais finir le quatrième avant de refaire le troisième !
LJ : Et moi, je ne suis pas pressé d’avoir le quatrième parce que c’est une sorte de montagne à gravir devant moi, là…

AD : Vous en êtes déjà sur le tome 2, bien avancé?

LJ : Oui, oui ; bien avancé, mais cela ne va jamais assez vite ! Je suis sur la phase de fin du story board. Il va y avoir ensuite un travail d’échange avec l’éditeur pour ajuster certaines choses.

AD : Vous souhaitez qu’il y ait combien de temps entre chaque volume ?

LJ : Alors, ce n'est pas moi qui le souhaite, c’est l’éditeur. Une année, à présent, c’est un peu le standard qui s’impose. En plus, c’est quatre vingt pages, ce n’est pas cinquante. Mais on va y arriver !

AD : Une dernière question à Tim. Quel est votre rapport à la bande dessinée ? Est-ce que vous en lisez ? Est-ce que vous appréciez ? Comment avez-vous lu celle-ci ?
TW : C’est magnifique ce qu’ils ont créé, c’est très beau. Je l’ai lu six ou sept fois. À chaque fois qu’on fait des dédicaces, j’ouvre au hasard l'album et je suis saisi par l’art, par le dessin, par les détails que ce soit dans les vignettes, dans les visages, la lumière, les paysages… Je trouve ça très, très beau. Je ne suis pas expert en bande dessinée, mais j'en regarde en librairies... Dans celle-ci, il y a tellement de détails que je trouve que c’est un très, très beau travail. 
 AD : Merci beaucoup. La parole au public !

Public: Luc Jacamon, êtes-vous allé à Malte ?

LJ : Je suis allé en Sicile, ce qui est proche géographiquement. J’y ai trouvé une lumière, une géographie aussi un peu identique. Mais comme je le disais tout à l’heure, d’un point de vue architectural, je n’espérais pas trouver beaucoup de choses à Malte. C'est pourquoi je n'ai pas fait le voyage.
Le fort Saint-Ange, à l'extrémité de Birgu, en 2009. Source Wikipedia
Public:  Il reste une partie des remparts que vous avez si bien dessinée !

LJ : Oui, des remparts c’est vrai, mais la ville elle-même, les bâtiments ont beaucoup souffert de ces conflits répétitifs et notamment de ce fameux tremblement de terre qui a été très  destructeur. Malte est aujourd’hui très urbanisée. Cela aurait été peut-être utile quand même d’y aller parce qu’il y a des musées avec des choses à voir ?

Public: La Valette est restée une ville très pittoresque !

LJ : Oui sans doute, mais encore une fois, de cette période là, 1565, je ne suis pas sûr qu’il y ait grand-chose qui reste.

BL : Oui, ça a été détruit aux trois quarts pendant les bombardements turcs et vingt-cinq ans après, il y a eu un tremblement de terre qui a détruit la ville. Il n'y a que le fort Saint Ange qui est resté, c’était costaud, tout le reste est tombé par terre. Ça a été reconstruit après le tremblement de terre, Le Borgo a été entièrement refait,
AD : Est-ce qu’il y aura une suite après Les douze enfants de Paris ?

TW : En théorie, oui, il y aura un troisième roman, mais c’est difficile à écrire. Quand j’écris un roman, je mets tout dedans. C’est comme un linge essoré, à la fin, c’est complètement vide ! Tout le monde est fatigué, les personnages sont fatigués, je suis fatigué ! C’est difficile aussi car je ne veux pas me répéter, je veux trouver de nouveaux aspects dans la description du personnage de Tannhäuser, et c’est difficile d’écrire une bonne histoire.

Public : Si c’est difficile d’écrire, pourquoi pas une suite directement en série télé ou dans un autre média ?

TW : Oui, j’ai déjà écrit des scénarios pour la télévision mais je veux écrire une autre histoire de Tannhäuser. Il y a des milliers de personnes qui essaient très durement d’écrire de grandes histoires, des films pour la télé et des romans. Et quand vous pensez combien y parviennent, combien de bonnes histoires lisez-vous ou regardez-vous tous les ans, pour moi c’est flippant ! Aller voir un film et dire « oh c’est génial !», c’est très rare.

BL : C’est un miracle…

TW : Lire un livre et dire après l'avoir lu, c’est génial, c’est très rare de ressentir quelque chose d’aussi fort. C'est ce qu’il y a de plus dur, d’écrire une vraie bonne histoire, tout le monde à travers le monde essaie d’écrire de bonnes histoires pour seulement quelques succès. Je ne veux pas écrire juste pour écrire un roman mais pour écrire un bon roman ! Ce n’est pas tellement difficile d’écrire un livre, mais écrire un bon livre, c’est très très dur. Ce n’est pas l’écriture, c’est le sujet, ce que vous voulez dire qu'il faut avoir.

AD : Merci à tous !

Pour voir un extrait filmé de la rencontre



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