Rencontre avec Etienne Davodeau, auteur de bande dessinée, Benoît Collombat, journaliste à France Inter, Francis Renaud, fils du juge Renaud et Frank Bourgeron, directeur de La Revue Dessinée dans laquelle est publiée
La mort d'un juge.

Rencontre organisée par la librairie Bulle le vendredi 3 octobre 2014, au Mans, dans le cadre de la 25ème heure du livre. Animée par Agnès Deyzieux.

La rencontre a débuté avec Frank Bourgeron, rédacteur en chef de la Revue Dessinée, un magazine trimestriel, crée en septembre 2013 et qui propose reportages, documentaires et enquêtes en bande dessinée sur des sujets très divers. C'est dans la revue que paraît La mort d'un juge, l'enquête d'Etienne Davodeau et Benoit Collombat. Mais l'enregistrement n'ayant pas correctement démarré, nous ne pouvons livrer que les dernières minutes de cet entretien. Toutes nos excuses...



A.D. La revue a été bien accueillie par le public et ce, dès son lancement puisque le n°1 a été vendu à plus de 20 000 exemplaires et que les abonnements à présent assure une certaine stabilité à la revue. Savez-vous comment la presse elle même, la presse sérieuse, d'investigation ou de grand reportage a accueilli votre naissance et votre succès, vu le regard souvent un peu condescendant porté sur la bande dessinée perçue souvent comme un moyen d'expression pas très sérieux ?

F.B. Je ne crois plus à cela ! Les générations qui arrivent maintenant ont été formées avec ça, c'est de moins en moins vrai cette histoire de considérer la bande dessinée comme un ghetto... Je me trompe peut-être mais je ne crois pas ! On a été très bien accueilli partant du principe que la presse aime bien parler de la presse ! Et puis, sans nous jeter des fleurs, on essaie de faire pour le mieux et il y a un intérêt des journalistes pour une forme renouvelée du discours journalistique, c'est une corde supplémentaire à leur arc et du coup, il y a cet attrait.

A.D. Pensez- vous que votre public est surtout composé d'amateurs de bande dessinée, celui qui a suivi depuis les années 90 les mouvements de la bande autobiographique et de reportage ou est-ce un public qui cherche une presse avec une approche différente, décalée ou approfondie, qui s'intéresse par exemple à des revues comme la revue XXI et ce serait donc un public plus diversifié que le seul lectorat de la bande dessinée ?

F.B. : Oui, c'est bien ça. On est parti de notre clientèle de base, les lecteurs de bande dessinée. On a distribué en librairie bd et en librairie généraliste, et puis la surprise, c'est que l'accueil en librairie généraliste s'est très bien passée et on pense toucher un public qui est bien au delà du lectorat de bande dessinée. Mais pas suffisamment encore ! C'est là que le travail doit se faire, on doit aller chercher dans des publics nouveaux. La bande dessinée est un outil formidable pour appréhender des choses complexes, vu également le peu de temps dont on dispose pour comprendre de nouveaux sujets. Et puis pour donner une vision différente des choses. Le dessin est un exercice formidable de distance, d'interprétation; d'explication...


A.D. Pouvez-vous nous dire, Etienne Davodeau et Benoît Collombat, comment vous êtes-vous rencontrés ? Est ce que vous vous connaissiez avant ? Et comment est venue cette idée de collaboration de travail pour La Revue Dessinée ?

B.C. Alors, l'idée initiale vient de La Revue Dessinée puisque Franck Bourgeron parlait précédemment de la formation de couples d'auteurs et de journalistes, donc ça s'est fait comme ça, tout simplement. En ce qui me concerne, je ne connaissais pas personnellement Etienne Davodeau mais je connaissais son travail et l'idée m'a tout de suite emballé. C'est-à-dire je connaissais le travail d'Etienne, la façon qu'il avait très fine de décrire le réel puisque c'est un des premiers dans la bande dessinée qui a donné ses lettres de noblesse à la bande dessinée documentaire, le reportage... je ne sais pas comment il faut appeler ça. Il se mettait en scène mais d'une façon qui n'était pas artificielle pour donner des éléments de compréhension aux lecteurs. Donc, tout de suite, je me suis dit que ce serait un moyen formidable, sur ce sujet là, qui était la violence politique dans les années 70, de donner à voir une réalité peu connue, en tout cas pas très abordée. C'est un sujet qui me passionne, sur lequel j'ai déjà travaillé. Donc voilà, donner à voir ce sujet et construire quelque chose, en apportant chacun nos sensibilités, moi, j'ai tout de suite dit oui !


E.D. Un peu symétriquement, je ne connaissais pas Benoît Collombat personnellement mais je connaissais son travail puisque, comme beaucoup d'auteurs de bandes dessinées, je travaille avec la radio allumée. Du coup, je connaissais d'une part son travail de journaliste radio et d'autre part, j'avais lu aussi ce formidable bouquin sur le suicide, entre guillemets, de Robert Boulin, un très gros livre, un somme assez sidérante, qui se lit comme un polar sauf que c'est une histoire vraie ! Je suis resté avec cette idée forte que ce genre d'histoires peut créer des choses extrêmement percutantes. 
Et puis voilà, quand Franck et ses camarades ont créé La Revue Dessinée, ils se sont un peu approchés de moi. Il se trouve que je fais de la bande dessinée documentaire depuis une petite quinzaine d'années maintenant et du reportage documentaire, on verra les terminologies exactes qu'il faut employer, je ne suis pas très au point là-dessus moi-même ! Toujours est-il qu'ils m'ont proposé cette idée. On s'est retrouvé dans un restau à Paris un jour glacial de janvier 2013 et puis, au cours du repas, on a pris la décision de faire le bouquin. Ce qui est très rare chez moi, car je suis un gars très hésitant, très lent à démarrer sur un projet. A l'entrée, c'était juste une idée et au dessert c'était carrément un projet, ce qui est assez sidérant ! J'avais très envie tout de suite de me lancer. Car ce sont des sujets qui parlent beaucoup à ma génération. Je suis né dans ces années 60-70, précisément en 65.


J'ai déjà fait un livre sur cette période là Les Mauvaises Gens, dans une veine très autobiographique, c'était l'expérience du milieu dans lequel j'ai grandi. Là, je trouvais l'occasion de revenir sur cette période mais sous un angle plus général, plus politique, plus national et surtout sous un angle que les gens plus jeunes que nous ne connaissent pas forcément et qui sont utiles de raconter. Donc voilà, très vite j'ai dit oui. Benoît et moi avions des travaux en cours, ce qui nous a empêché de démarre immédiatement mais dès qu'on a pu, on s'y est mis et voilà la première partie du travail !

A.D. La mort d'un juge, c'est le titre de ce reportage de 59 pages, publié dans La Revue Dessinée, reportage au cours duquel on va découvrir à quel point l'enquête sur l'assassinat du Juge Renaud, abattu le 3 juillet 1975, a été mal menée, peu approfondie pour aboutir 20 ans plus tard sur un non-lieu. Je voulais souligner pour le public que ce reportage n'est que le premier épisode d'un projet beaucoup plus vaste, que le second épisode sera publié dans La Revue Dessinée et que le tout sera au final publié en bande dessinée. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur ce projet global consacré à la violence politique en France dans les années 70 de façon à ce qu'on comprenne en quoi l'affaire du Juge Renaud en est l'amorce ? Et pourquoi également avoir choisi de publier cet épisode dans La Revue Dessinée plutôt que de sortir directement un album ?
B.C. Ce projet est prévu pour 2015 chez Futuropolis et s'appelle pour l'instant Cher pays de notre enfance, vous entendrez sûrement l'ironie de ce titre... Ce livre sera consacré à la violence politique et il y aura plusieurs chapitres. Le Juge Renaud, c'est le premier chapitre. Il est emblématique parce que c'est le premier juge d'instruction assassiné depuis la Seconde Guerre mondiale. Nous en parlerons au cours de ce débat, ce n'était pas n'importe quel juge, il n'enquêtait pas sur n'importe quel dossier. Il grattait vraiment là où ça faisait mal, où ça pouvait déranger, très très haut. Symboliquement, c'est la République qui est attaquée quand on tue un juge, de la même façon que lorsqu'on assassine un préfet des années plus tard ou quand on assassine un ministre de la République. Donc, c'est très fort de partir déjà sur ce premier postulat. 
Couverture de l'édition spéciale
réalisée par la librairie Bulle
Ensuite, on va décliner toute cette ambiance dans d'autres chapitres. On parle notamment du service d'action civique, le SAC, qui était le service d'ordre du parti gaulliste créé à la fin des années 50 et qui a dérivé vraiment dans une espèce d'organisation mafieuse violente, criminelle, qui a commis de nombreux homicides, les officiels et puis les officieux. C'était donc une organisation qui était véritablement infiltrée par des truands, des hommes de main, qui a rendu d'éminents services au régime gaulliste. C'était vraiment une sorte d'Etat dans l'Etat, avec des complicités au sein de la police, au sein de la magistrature. Quelque chose d'extrêmement puissant et qu'on retrouvait dans de nombreuses strates de la société et qui, évidemment ne peut pas ne pas avoir des effets sur la société française toute entière et aujourd'hui encore, il y a un peu une omerta autour de ce sujet-là. Il y a eu une commission d'enquête au début des années 80 à la suite d'un massacre, la tuerie d'Auriol en 1981 à Marseille. Une famille à été massacrée dans des conditions effroyables, une famille liée à un chef local du SAC justement. A la suite de ce massacre, la gauche qui venait d'arriver au pouvoir a lancé une commission d'enquête et le SAC a été interdit.
Cet épisode sanglant clôt toute cette période chronologique sachant qu'au même moment, il y a un deuxième juge d'instruction, le juge Michel, qui est assassiné à Marseille alors qu'il enquêtait sur le trafic de drogues, la French Connection. On va également parler des milices patronales qui essayaient de reprendre en main le syndicats considérés comme étant trop à gauche, sachant que la CFDT, c'était déjà beaucoup trop à gauche ! Puis on va reparler bien évidemment de l'affaire de l'affaire Boulin.

A.D. Donc, il y a vraiment aussi dans vos motivations une dimension pédagogique. Vous montrez qu'il y a une continuité finalement de cette époque avec la nôtre, à travers la criminalisation des affaires financières.

B.C. L'idée, c'est vraiment d'aller à la rencontre des témoins, de sortir les documents. C'est une enquête vraiment menée à deux, pas un parti pris. Après, on a notre regard, chacun peut avoir le jugement qu'il veut sur cette période. L'idée, c'est juste de dire que voilà, c'est une page de notre histoire qu'on ne veut pas regarder, qu'on ne veut pas lire tout simplement, et si on veut la tourner, peut-être faut-il déjà commencer par la décrire, par la lire.
Le point de départ, c'est aussi de se dire qu'il y a eu de nombreux ouvrages sur la violence en Italie, les années de plomb, c'est une période absolument effroyable. Je viens de lire les mémoires d'un des derniers juges d'instruction antimafia, Robert Scarpinato, un des derniers survivants de cette période là qui raconte les légions de morts de tous ceux qui ont essayé de s'opposer à la mafia, c'est hallucinant ! Evidemment, la violence en Allemagne également. Mais nous aussi, en France, dans un autre contexte, avec d'autres personnes, il y a eu cette violence, une violence d'extrême droite. Une cinquantaine d'assassinats politiques (au sens large) en France ont été recensés dans les années Giscard (cf Histoire secrète de la Vème République, Ed. de la Découverte, 2006). Donc, il y avait ce point de départ pour nous. Et puis, d'un point de vue générationnel aussi, puisque ce sont des années qui nous concernent, dans lesquelles on est né.

A.D. Lorsqu'on travaille sur une affaire aussi complexe que celle du juge Renaud, qui met en cause de nombreuses personnes et beaucoup d'informations, on amasse forcément une documentation considérable. Comment faire le tri de ce qui est important ou pas quand on doit réaliser 58 pages de bande dessinée ?

E.D. Eh bien, ça prend du temps, c'est un travail de longue haleine mais qui m'intéresse vraiment ! Concrètement, on va à la rencontre des témoins de l'époque, des gens qui peuvent nous parler au plus près de ce qui s'est passé, c'est la cas de Francis qui sera légitime pour nous parler dans ce premier chapitre. Ensuite, on revient sur ce qu'on a ramené comme informations et ensemble, on essaie d'en extraire la substantifique moelle ! Une fois à ce stade là, celui de la synthèse, de l'écriture, de la sélection, il faut dessiner les séquences, ce qui est mon job ! Quand j'ai dessiné les séquences, je les repropose à Benoît, on en reparle, et c'est un travail d'aller-retour.

J'ai aussi établi comme principe de travail de soumettre à nouveau les pages aux personnes interrogées. Elles ont parfois des retours à nous faire, ce qui occasionne des réglages, des discussions. C'est un travail qui prend beaucoup de temps. La bande dessinée, c'est un travail long, y compris la bande dessinée de fiction, c'est un travail de moine, on reste dans son atelier pendant des heures... auquel se rajoute ce travail d'enquête et de vérification.

B.C. Ce qu'amène aussi Etienne, l'envie qu'il avait et que je partage, c'est d'écrire les coulisses de l'enquête, par pour le plaisir mais pour amener du sens à tout ça. c'est un point sur lequel, en tant que journaliste, on est frustré. Il y a des sites d'infos comme Mediapart qui font ça, ils appellent ça la boîte noire où ils racontent le contexte : a-t-on du mal à rencontrer des gens, les portes se ferment-elles ? Ça donne des éléments intéressants au lecteur. Et donc là, on s'était dit ça dès le début. C'est intéressant les refus, c'est aussi intéressant que les personnes qui acceptent de vous parler ! Les difficultés qu'on peut rencontrer dans le cheminement de l'enquête, pour avoir accès à certains documents, tout cela fait partie de l'enquête !

A.D. Avez-vous hésité sur la forme de votre enquête ? Pour vous, c’était évident qu’on vous voit sur le terrain en train d’interviewer des témoins clés? N’avez-vous pas été tenté de glisser des passages documentaires ou biographiques mettant en scène le juge par exemple ?

B.C. Evident, pour moi non ! Pour Etienne, oui ! C'est la première question qu'il m'a posée lors de ce fameux déjeuner : ça te dérange si je te dessine ? Evidemment, c'est un point d'appui narratif, ça a du sens, ce n'est pas juste pour se montrer dans la bande dessinée ! Ce n'est pas vraiment nous, ce sont nos avatars de personnages de bande dessinée. Mais en même temps, c'est vraiment nous, les situations sont réelles, j'enregistre les entretiens, puis on les travaille avec Etienne, c'est au plus proche du réel. Après, c'est la tâche d'Etienne de remettre ça dans le récit avec les personnages.

F.B. C'est à la fois un reportage, un reportage sur l'enquête et c'est un documentaire. La structure narrative qu'ils ont mis en place est intéressante car elle permet de la profondeur. On a les deux journalistes sur les pages, on a les dialogues, ça permet de se poser certaines questions, de changer de niveau, de plan. C'est une structure narrative compliquée.

A.D. Dans cette introduction, Etienne Davodeau, il semble que vous jouez le candide pour aider le lecteur à entrer dans ce contexte, sans même trop masquer l'artifice. Vous posez les questions simples auxquels Benoît Collombat a toujours réponse. A un moment vous dites même "tu peux nous rappeler ce qu'était le Sac? " le nous, c'est évidemment nous, les lecteurs. Il semble qu'ensuite, vous allez prendre un peu plus d'assurance dans le couple, en tout cas faire moins le naïf et devenir autant enquêteur qu'interlocuteur de Benoît Collombat. Est-ce seulement une astuce narrative d'introduction pour accompagner le lecteur ou est ce que cela reflète une réalité vécue ?

E.C. C'est absolument les deux ! Sur le sujet dont on parle, je ne sais pas depuis combien d'années Benoît travaille là dessus, mais il est clair qu'il a quelques longueurs d'avance sur moi. Il a les références, le déroulement historique de tout ça. Moi évidemment, je me documente, je lis beaucoup. Il m'a donné une bibliographie qui dépasse cette hauteur là, sur ma table, j'apprends plein de choses. Mais en même temps, je tiens à garder cela, c'est à dire que, quand on va voir quelqu'un et qu'on parle d'une situation, je suis celui des trois qui en connais le moins. Ça me donne un inconvénient, je suis moins armé pour discuter, je pose parfois des questions un peu neuneu mais ca me donne un petit refuge latéral où j'observe plus facilement ce qui se passe.
C'est à dire que quand j'assiste à la discussion entre Benoît et l'interlocuteur, j'ai une position d'observateur qui est à la fois partie prenante du récit et en même temps, je me demande comment je vais raconter ça. Telle chose ne concerne pas directement le récit mais je vais l'utiliser, ca fait qu'on est assez complémentaire là-dessus. C'est presque le procédé que j'ai utilisé dans Les Ignorants où je suis allé chez un camarade vigneron, en lui disant  : voilà je ne connais pas le vin, fais-moi goûter, fais- moi travailler, fais-moi découvrir. C'est une posture très fertile ! 

A.D. Durant cette enquête, vous allez rencontrer huit personnes; pour certains des témoins clés qui, pour la plupart n'ont été entendu dans le cadre de l'enquête que 6 à 10 ans après les faits. Il y a le journaliste Robert Daranc, ami du juge, Yves Boisset, réalisateur du film Le Juge Fayard qui s'inspire de cette affaire en passant par le Commissaire Richard, chargé de l'enquête, la greffière du juge Renaud, pour clore avec Francis Renaud, son fils. Comment s'est effectué le choix de ces personnes à interroger ? Ont-elles toutes accepté facilement de témoigner sur cette période ? Comment ont-elles réagi à votre projet ? On sent par exemple que le premier, Robert Daranc, est un peu dubitatif sur la forme documentaire en bande dessinée... 

E.D. C'est typiquement l'exemple dont je parlais tout à l'heure ! On rencontre une personne qui a dans les 80 ans, qui n'est pas habitué à la lecture de bande dessinée. Benoît se présente comme journaliste, pas de problème. Je me présente comme auteur de bande dessinée. Là, il lève un sourcil. Et quand on lui explique qu'on fait un reportage en bande dessinée, voilà autre chose ! C'est légitime ! Donc là, c'est typique de l'enquête, on parle du contexte, d'un objet narratif en train de se créer...
B.C. La plupart des personnes ont accepté facilement, mais il y a eu quelques réticences. Comme la greffière, on le voit dans le récit, elle ne souhaite pas qu'on voit son visage, comme une autre personne d'ailleurs. C'est intéressant car on peut utiliser la bande dessinée pour raconter cela tout en lui donnant un autre visage, donc le problème est résolu ! Sinon, la plupart des personnes ont non seulement accepté mais ont même considéré que c'était de leur devoir de le faire. Et là, on rejoint le fond de l'affaire, par rapport à ce qui s'était passé. Certains étaient très proches du juge, avaient un immense respect pour lui et vis à vis de son travail. Ils considèrent que c'est un véritable déni de justice ce qui s'est passé avec l'enquête notamment, ce qui est paradoxal pour un juge. Donc oui, la plupart des personnes se sentaient très investies et ensuite, quand on leur a présenté le résultat, il n'y a pas eu de problèmes à quelques petits détails près, de réglages.

 A.D. Tous les témoins interrogés sauf un, le commissaire Richard reconnaissent ou affirment que le juge a été tué car il approchait de trop près le lien entre milieu politique, Sac et milieu du gang des lyonnais. Ce commissaire Richard, vous allez le cuisiner et vous le montrez nerveux ou silencieux en particulier lorsque vous lui mettez sous les yeux le rapport de son enquête. Il a éliminé, l'hypothèse de la vengeance personnelle, qu’il commente, l'hypothèse de la vengeance à caractère politique sans aucun commentaire comme vous le soulignez, pour se diriger vers la troisième hypothèse, celle qui sera au final retenue : celle des truands voulant se débarrasser d'un juge trop tenace ou sévère dans le règlement des affaires criminelles. Vous l'interrogez sur une phrase de son rapport, "c'est dans cette voie que l'enquête était orientée", phrase que vous mettez en exergue dans la case avec sa typographie d'origine extraite du rapport. Qu'est ce qui vous gêne dans cette phrase ? La façon dont elle est formulée ? Est-ce que vous attendez qu’il complète qu'elle était orientée par quelqu'un ? Ou qu’il prenne simplement conscience que vous n’êtes pas dupes d’un certain parti pris qu'il aurait eu ?


B.C.  Le commissaire Richard, c'est donc le policier qui a travaillé avec le juge Renaud, dont il était assez proche et qui ensuite a mené l'enquête sur son assassinat. Effectivement, lui, il est catégorique, il écarte la piste politique. Sauf que dans sa propre enquête, il y a des éléments qui allaient dans ce sens là. De nombreux témoins qui auraient pu aller dans ce sens là ne l'ont pas été, comme Robert Daranc... Ce qui était intéressant, c'était de voir sa réaction. On a passé beaucoup de temps avec lui, il nous a retracé toute sa carrière.
Dans ce genre de dossier, il faut connaître le dessous des cartes, surtout à l'époque. Pour planter un peu le décor, c'est une période très troublée, Lyon est la capitale du crime, une des bases arrières du Sac, ce fameux mouvement qui est en train de dériver. Lui a connu la guerre d'Algérie, a rencontré une partie des truands qu'on retrouve au sein du Sac. Cette histoire est indissociable de la guerre d'Algérie, des barbouzes, des milieux interlopes, des membres du Sac utilisés en Algérie pour lutter contre l'OAS, qui ont rendu des services, qui ont été protégés ensuite en revenant aux affaires, qui tiennent les tables de jeux, les trafics illégaux, protégés par la police... Le commissaire connaît tout ça, il sait aussi -ça fait partie des révélations, j'ai été aussi le premier étonné- il sait que le juge travaille sur cette piste. Il nous le dit lui-même.
Le juge Renaud enquête sur une série de braquages du gang des Lyonnais, un gang à la pointe, qui a fait une cinquantaine de braquages au début des années 70 avant de se faire arrêter en 1974. A la tête de ce gang, il y avait Edmond Vidal, dit Momon. Le juge s'intéresse en particulier à un braquage, celui de l'Hôtel des Postes de Strasbourg en 1971, un butin monumental de 11 millions de francs de l'époque. Un an plus tard, il y aura un autre braquage à Mulhouse, avec un butin quasi équivalent. Il se demande s'il y a un lien entre le braquage de Strasbourg où il y aurait eu d'ailleurs des complicités à l'intérieur et il se demande si cet argent ne va pas dans les caisses du parti gaulliste. Il commence à reconstituer les pièces du puzzle. Evidemment, c'est très dérangeant. Et le juge en parle au commissaire. Mais lui, il balaie ça d'un revers de main. On lui pose la question plusieurs fois et quand on essaie de rentrer dans les détails, il ne veut pas en entendre parler.

A.D. Et ça ne vous questionne pas ?
B.C. Oui, mais on laisse aussi le lecteur juge, c'est ça qui est intéressant dans l'exercice, c'est qu'on fait confiance à l'intelligence des lecteurs.

A.D. Francis Renaud, vous apparaissez dans la bande dessinée comme le dernier témoin interviewé. Quel effet ça fait de se voir ainsi, dans une bande dessinée? Et de façon plus large, comment avez vous accueilli le projet de cette bande dessinée ?

F.R. Oh, se voir dans une bande dessinée, c'est vrai que l'on ne ressemble jamais réellement à ce que l'on est ! Mais l'essentiel est d'accéder à la vérité, de remuer les vraies raisons de cet assassinat. Je ne dis pas cela pour vous flatter mais j'ai trouvé ce récit remarquablement construit et cohérent. Et surtout, vous prenez position. Le problème dans l'assassinat de mon père, c'est que très rapidement, il y a eu deux thèses. Les assassins de mon père ont été identifiés très rapidement. Dans les deux jours qui ont suivi son assassinat, des gens qui étaient des indicateurs sont venus parler à la police, ils ont donné des noms. Un homme s'est présenté le lendemain, quinze jours après c'était un deuxième, trois semaines après, c'était un troisième. Leurs informations se recoupaient assez bien. Donc, la police a su très rapidement. Mais par contre, l'enquête s'est arrêtée très brutalement. Il était question de trois hommes, des tueurs à gage, qui n'ont pas été arrêtés ni interrogés. Or, l'un d'entre eux a été éliminé dans des conditions troubles. A partir de là, l'enquête s'est arrêtée. L'instruction judiciaire de son côté était incohérente avec une succession de magistrats qui avaient l'air de se repasser le dossier, ils se repassaient la patate chaude comme on dit vulgairement. Très rapidement, il s'est avéré qu'il y avait une thèse politique, très crédible et compliquée et puis, il y avait une thèse simple, l'assassinat crapuleux par le milieu. La thèse politique a été assez crédible dans les années qui ont suivit l'assassinat de mon père, des années avec des combines financières, et l’existence du Sac. Un sujet complètement tabou mais dont on en parlait malgré tout, il y a avait quand même des journalistes engagés. Et surtout, il y a eu Yves Boisset, un cinéaste qui a fait un travail remarquable.

Dans les six mois qui ont suivi l'assassinat de mon père, lui, il a eu l'intuition que c'était une affaire politique. Il est venu sur le terrain. C'est assez paradoxal d'ailleurs car c'est la seule personne qui a vraiment fait une enquête sérieuse et ce n'est pas un policier. Il a fait ce film remarquable, Le juge Fayard dit le Shériff avec Patrick Dewaere, qui a une certaine ressemblance physique avec mon père. Mais Boisset fait de ce juge un juge rouge, ce que n'était pas mon père. C'était un juge de gauche mais ce n'était pas un juge politisé, c'était un personnage tout en contrastes.
Collection BML, Fonds Lyon Figaro
En tout cas, sur le fond de l'affaire, il a complètement démantelé ce scénario de l'assassinat politique : un juge intègre comprend que le gang qui domine la scène criminelle de l'époque se met au service du pouvoir pour financer ses campagnes électorales, il est menacé, il tient tête et il est tué. Ça, c'est exactement l'histoire de mon père et c'est la thèse du film brillamment énoncée. Mais au fil du temps, cette thèse est oubliée, parce que des informations se succèdent et l'affaire est passée aux oubliettes. Et puis l'impunité elle-même, qui ouvre la porte à toutes les hypothèses. L'affaire de mon père a été classée sans suite au bout de 17 ans de procédure, affaire non résolue officiellement. On n'a jamais pu identifier ni les auteurs, ni les commanditaires, ni les mobiles. On a jamais voulu savoir en fait qui étaient les commanditaires. On a éliminé un homme, ce truand qui s'appelait Marin qui avait peut être la clé de cette affaire.

B.C. Par rapport au film de Boisset, je voudrais insister sur le fait qu’il sort en 1977, très vite. Premièrement, Boisset s'est extrêmement documenté. Il sera entendu par la commission d'enquête parlementaire au début des années 80, un peu comme un spécialiste, et c’est vrai qu’il a rencontré des gens du milieu à l'époque. A tel point qu'il est entendu par les juges qui sont en charge d'instruire l'assassinat du juge Renaud parce que dans son film, il indiquait des choses qui n'étaient que dans le dossier d'instruction. Par exemple comment le juge est tombé, qui l’a renversé, des choses qui étaient au plus près de la réalité ! Les juges étaient extrêmement troublés. Et deuxième point, les menaces. A l'époque il en coûtait de s'intéresser à ces sujets. Alors qu'en même temps, il y avait, là aussi c'est un peu paradoxal, une littérature militante assez importante et assez documentée sur le sujet. Et c’est ce que nous raconte Boisset : les menaces de mort, le fait qu’il a dû partir à l'étranger pour faire protéger ses enfants, etc. Ce n'est pas une petite chose.

 F.R. Merci pour ce complément. Je voulais dire aussi c'est que c’est une "affaire classée sans suite" et là est le problème. Devant la chose jugée, on s'incline. Devant la chose non jugée, on se pose des questions, et on peut imaginer toutes sortes d'hypothèses. Et mon père était en plus une personnalité assez forte, flamboyante, un paradoxe vivant, qui prêtait le flan à la critique. A la limite, il devenait presque le coupable, parce qu'il avait des méthodes non orthodoxes. Finalement, il faisait l'objet d'une revanche plus ou moins normale. J'ai entendu toutes sortes d'aberrations sur la thèse de l'assassinat de mon père et sur sa personnalité également… Donc, la thèse politique a été oubliée. Un jour, après tout un cheminement, j'ai décidé d'écrire un livre sur mon père, chose que je me croyais bien incapable de faire pendant de nombreuses années. Car c'était une affaire très médiatique au départ, des journalistes, des cinéastes s'emparent de cette histoire, je n'avais rien à dire. Et puis, des années plus tard, j'ai trouvé le besoin de réparer cette injustice et de parler de qui il était véritablement. Je raconte cela non pas pour parler de mon bouquin mais pour évoquer la façon dont j'ai rencontré Etienne et Benoît, la façon dont je me suis retrouvé associé à votre projet.

Au départ, j'ai voulu surtout rétablir la mémoire de mon père et montrer quel homme il était. C'est cela qui m'a amené à faire mon travail d'enquête, parce que je ne suis pas enquêteur, a fortiori, et étant son fils, on peut penser que je ne suis pas objectif. Mais l'homme dans sa vérité est indissociable de l'affaire de son assassinat. Si on prend la thèse simple, règlement de compte ou revanche du milieu, d'un voyou humilié, et bien là, on voit un magistrat assez ordinaire, qui était peut-être borderline à la limite. A l'inverse, si on prend la thèse politique, là, on voit un homme qui a affronté un système corrompu, qui a été menacé, qui a tenu tête et qui en est mort. J'ai été amené à aller assez loin dans cette enquête. Et de fil en aiguille, à faire un parallèle avec l'affaire Boulin.


Robert Boulin
Entre le moment ou mon père a été assassiné et aujourd'hui, il s'est passé quatre choses : il y a eu des développements historiques, il y a eu des développements judiciaires avec l'affaire Boulin, des développements journalistiques et des développements personnels avec des gens qui on fait des révélations. Un jour, un ancien avocat spécialiste des affaire du SAC, M. Rousse, que je tiens à citer parce que je lui dois beaucoup, m'a contacté et a porté à mon attention le parallèle qui existait entre l'affaire Boulin et l'affaire de mon père : même contexte, même(s) personnage(s), même(s) manipulation(s). Dans tous les crimes étatiques, évidemment, la victime devient le coupable. Et des gens qui raisonnent de manière très pertinente d'une manière générale, tout à coup, ne veulent plus raisonner parce qu’il y a une vérité qu'ils ne veulent pas voir. J'ai donc consacré un chapitre de mon livre à cette affaire Boulin. J'ai dévoré votre bouquin, Benoît, je ne dis pas cela pour vous flatter, mais je l'ai trouvé puissant parce que vous aviez le recul d'un journaliste et ça rendait le récit encore plus fort. On est vraiment pris aux trippes par cette injustice absolue. On se rend compte qu'à tous les niveaux de la hiérarchie, il y a une complicité pour casser la vie et même l'honneur d'un homme intègre. Donc, j'ai fait le parallèle et finalement lorsque j'ai sorti mon livre, je vous l'avais bien entendu destiné. Mais avant même que je le fasse, vous m'avez contacté ! Du coup, on a sympathisé, on s'est trouvé les mêmes valeurs, vous avez tout de suite adhéré à la thèse de l'assassinat politique et je vous remercie d'être venu à mon secours, en quelque sorte, parce que cette thèse politique est un peu oubliée. Et même avant d'écrire le livre, il y a des gens, je peux vous dire, avec qui je parlais et qui disaient : "Non, tout cela, c'est du fantasme, ça n'existe pas" et puis là, aujourd'hui avec mon modeste travail et l'aide de gens comme vous, ainsi qu’Etienne, et bien la vérité commence à se faire jour.

A.D. Et est-ce que vous croyez qu'un jour vous pourrez connaître la vérité, en avoir les preuves du moins ? Est-ce que par exemple Edmond Vidal pourrait avouer son rôle éventuel dans cette affaire ou est-ce qu'il faut définitivement faire son deuil de la vérité ?
 F.R. Je pense que des gens parleront avec le temps. D'ailleurs, il l'a déjà fait, Edmond Vidal. Vous savez qu’il y a eu un film sur le gang des Lyonnais, d’Olivier Marchal, dans lequel, avec son approche à lui de cinéaste, il a héroïsé Edmond Vidal. C'est son choix, c'est le choix du public. Moi, ça m'a fait réagir dans mon livre, non pas que je veuille donner une leçon de morale aux gens pour leur dire "vous n'avez pas le droit d'héroïser un voyou", mais je ne voulais pas que dans tout cela, on oublie cette réalité sordide, à savoir l'assassinat d'un magistrat. En tout cas, lorsque le film est sorti, Edmond Vidal se trouvait sur un plateau télé d'une émission de Michel Drucker et là publiquement, il a dit : ben oui. On l'a questionné sur ce fameux holdup, qui ironiquement, devient pour beaucoup de gens, friands d'histoire de truands, un objet de fascination. Le casse du siècle, c'est merveilleux. Alors qu'en fait, c'est une opération télécommandée par certaines personnes au pouvoir. Et donc, on l'a questionné sur la destination des fonds. Il a dit : "ben oui, on a partagé entre copains, mais bon, avant cela, on l'a quand même partagé avec une certaine organisation politique". Donc, il a lâché le morceau.
B.C. Non seulement il l'a dit, mais il l'a écrit ! Dans un livre qui s'appelle Pour une poignée de cerises. Alors qu'il y a encore assez peu de temps dans les livres consacrés au gang des Lyonnais, c'était quelque chose qu'il niait totalement.

F.R. Effectivement, des gens parlent avec le temps. Des gens inquiets, un pied sur la tombe, ont envie de soulager leur conscience et parlent. Peut-être qu'Edmond Vidal en dira plus, à mon avis, il a beaucoup plus de choses à dire. Maintenant, si la vérité doit éclater, elle se fera en dehors de l'institution judiciaire, puisque l'affaire est close. Pourrait-elle être réouverte ?

B.C. Oui, mais normalement au bout de dix ans, il y a la prescription. Dans cette affaire là, il y a eu un non-lieu, confirmé en 1994. On a fait appel et la période de dix ans étant écoulée, après il n'est plus possible de relancer le dossier. Par contre, il y a un enjeu qui concerne les faits, la mémoire, cela concerne tous les citoyens. Pour l'affaire Boulin, par contre, c'est un peu différent. Sur le papier, il y a encore une possibilité que le dossier soit réouvert. C'est-à-dire que suite justement à la parution de mon livre et une série de reportages, il y a eu interruption de la prescription. C'est-à-dire que ça paraît un peu technique, mais disons qu'il faut qu'il y ait un acte dans la procédure judiciaire, un acte nouveau, qui relance une période de dix ans en fait. S'il ne se passe rien pendant dix ans, le dossier est éteint officiellement. Donc, pour le dossier Boulin, en gros, la période butoir, c'est 2017. Mais il n'y a absolument aucune volonté, malgré l'alternance politique, pour que le dossier soit relancé. Pour connaître la vérité dans une affaire, il faut la confier à un juge d'instruction, qui est le seul à pouvoir faire des confrontations, à lancer des expertises, etc. Surtout quand les pièces à conviction ont disparu, ont été détruites, ce qui est le cas dans le dossier Boulin. Et on ne veut surtout pas ça ! Voilà, parce que dans cette affaire, un peu comme pour le Juge Renaud, il y a un côté un peu "je te tiens, tu me tiens par la barbichette". Et on part du principe, -moi je trouve que c'est une analyse erronée-, que c'est quelque chose qui va éclabousser tout le monde…

F.R. Pour que la vérité éclate véritablement dans l'affaire de mon père, il faudrait que trois tabous soient levés. Le premier, c'est les relations entre le pouvoir et le gangstérisme, à ce moment donné de notre histoire dans les années 70. Alors, ce tabou est en partie levé aujourd'hui. Pas totalement, mais au moins on reconnait aujourd'hui que le SAC était une organisation subversive, criminelle et dangereuse, c'est la définition donnée dans le rapport d'enquête. Deuxièmement, c'est le lien entre le gang des Lyonnais, qui dominait la scène du crime dans les années 70 et le fait que ces gens là étaient liés au pouvoir. Ça, c'est presque levé comme tabou, puisque les protagonistes de l'époque en parlent aujourd'hui. Mais le troisième point, ce serait de reconnaître qu'on a fait assassiner un juge et qu'on a couvert l'assassinat d'un juge pour ne pas dévoiler cette magouille. Et ça, c'est un tabou qui n'est pas prêt d'être levé parce que, de la part des autorités, cela voudrait dire qu’on reconnaît officiellement qu'à un moment donné, notre pays s'est conduit avec des méthodes d'état gangster ! Et je pense que ce tabou ne va pas être levé de si tôt !


A.D. Comme Robert Daranc, vous soulignez que le Juge Renaud n'a jamais été cité par la République comme étant mort dans l'exercice de ses fonctions et qu'il n' y a jamais eu de cérémonie officielle à sa mémoire. On se rappelle le ministre de la justice de l'époque, Jean Lecanuet qui avait dit : "les assassins ne connaîtront pas de répit" et ceux-ci n'ont même pas été inquiétés. Comment vous sentez-vous à présent par rapport à la République ou la justice française, en colère ou profondément écœuré ? 
F.R. Il y a une injustice fondamentale qui émane des institutions, puisque finalement, on a commandité et on a couvert l'assassinat d'un juge. Mais il y a une certaine partie de l'opinion publique, des médias qui a un petit peu caricaturé mon père, qui est devenu avec le fil du temps un personnage politiquement incorrect. Mais je me suis exprimé, j'ai quand même pu exprimer mon point de vue. Et puis, je vois que je suis quand même suivi par des gens de très bon niveau. Je pense que cette injustice est en voie d'être réparée.


 B.C. "Politiquement incorrect" : il faut rappeler en deux mots que le juge Renaud, c'était quelqu'un qui avait des idées progressistes. Il était adhérent au syndicat de la magistrature, c'était un syndicat à l'époque qui était classé à gauche, mais en même temps, c'est quelqu'un qui était dur avec le crime, qui ne transigeait pas avec les voyous. Donc voilà, ce n'était pas un personnage comme ça que l'on pouvait ranger dans une case. En plus, il avait effectivement un tempérament, une personnalité qui sortait un peu du cadre. Il portait des costumes un peu voyants. Alors dans la société bourgeoise et policée de la société lyonnaise de l'époque, il dénotait.


F. B. Comment vit-on avec ce choc formidable que vous avez vécu ? Comment vit-on avec cette injustice pendant quarante ans ?
F.R. Vous savez, il y a une histoire que j'ai lue un jour qui m'a véritablement bouleversé, c'était le témoignage d'un monsieur qui était le dernier survivant du naufrage du Titanic. Donc, ce monsieur était très âgé, presque 90 ans. Et il racontait l'histoire suivante. Il a vu son père le mettre dans une barque pour le sauver, se sacrifier pour lui et rester sur ce bateau et lui dire alors que la barque s'éloignait : "dis à ta mère que je l'aime". C'est bouleversant. Je ne veux pas dire que ce que j'ai vécu se situe au même niveau de pathos, mais j'ai reçu un message aussi de mon père de la même manière. C'est-à-dire que la dernière soirée que l'on a passée ensemble, c'était la veille de sa mort, non, c'était l'avant-veille. C'est une très belle soirée d'été, mois de juillet, ciel bleu, on avait un appartement au dessus des quais de la Saône, avec vue sur les collines de Fourvière. On dîne dans la cuisine qui donnait sur la terrasse, et mon père me dit très calmement, il me dit : "voilà, fiston, il faut que tu saches, je suis à un tournant de ma vie, je suis sur une très grosse affaire et il est possible que je me fasse descendre. Donc, si je ne me fais pas descendre, voilà quels sont mes choix de vie, voilà comment je vois l'avenir pour les années à venir. Si je me fais descendre, tu feras ça, ça et ça". Et après, il passe à autre chose, il dit "voilà, tu veux de la salade ?". Vous voyez, parce que c'était un homme réellement courageux, c'est le vrai courage, pas le courage face à un danger immédiat, c'est du courage face à un danger diffus, et c'est la capacité à le surmonter. Donc, en fait, il m'a fait ses adieux, il m'a passé le relais d'une certaine manière.
Et bien, je ne veux pas avoir l'air pompeux, mais, je reprends la méthode que je citais toute à l'heure. Ce monsieur a reçu un message de son père et il disait qu'il lui avait fallu attendre des années avant d'être capable de parler de ça, parce qu'avant il fallait qu'il fasse sa vie, qu'il fasse son chemin à lui, qu'il comprenne ce que c'était la vie, d'ailleurs il est devenu prof de philo; alors il est peut-être encore mieux placé pour en parler. Et bien moi, d'une certaine manière, il fallait que je fasse mon chemin pour arriver à formuler tout cela, pour en être capable. Parce qu'au début, je prenais les informations à droite, à gauche, je ne comprenais pas trop ce qui se passait, je voyais bien qu'il y avait quelque chose de pas très clair dans cette affaire, mais j'étais incapable de le formuler. Et puis, j'étais incapable d'affronter les médias, j'étais facilement intimidable, je n'avais pas les arguments, je pouvais être désarçonné très rapidement, alors que là, je vous attends pour me démasquer ! Donc, il fallait que je prenne de la maturité pour être capable de faire naître tout cela.

 B.C. Par rapport aux messages qui sont passés avant sa mort, je vois un point commun assez puissant aussi avec l'affaire Boulin. Ce sont deux anciens résistants, des vrais résistants, pas des résistants de la dernière heure. Ce qui est très intéressant de voir dans les deux cas, c'est qu'il sont menacés avant, tant Robert Boulin que votre père. Les émissaires du SAC, devant les avocats, viennent clairement lui dire : "arrêtez, sinon ça va mal finir pour vous". Pareil pour Boulin. Donc, il en parle à certains de ses proches. Et là, il y a de nombreux témoignages qui convergent. Et donc, qu'est-ce qui se passe ? En fait, ce sont des hommes seuls, avant d'être éliminés, parce que le système ne va pas les protéger. Et vers qui ils se tournent ? Vers d'anciens compagnons de résistance, dans les deux cas et qui vont plus ou moins les soutenir. Dans le cas de votre père, il y avait un ministre qui était André Jarrot.
F.R. C'était un copain de fac.
E.C. Voilà. On a appris qu'effectivement il avait tenté de le rencontrer juste avant d'être assassiné, probablement pour lui faire passer un message. Pareil pour Boulin qui contacte Maurice Plantier, qui était un secrétaire d'État aux Anciens combattants, qui était dans son réseau de résistance. C'est intéressant de voir qu'ils se tournent vers les quelques personnes qui se comptent sur les doigts d'une main, des personnes fiables face au danger, les anciens compagnons de résistance.
F.R. Oui et de voir qu'ils éprouvent aussi le besoin d'en informer leurs proches. Puisque Robert Boulin a remis une lettre à sa fille où il fait son testament moral.
B.C. Oui, il lui dit "Voilà, s'il m'arrive quelque chose, prends soin de ta mère, etc". Vraiment les analogies sont extrêmement troublantes. Et parce que toute cette histoire-là renvoie à toute cette période historique que balayent les années 70, la guerre d'Algérie et l'histoire de la résistance. Et en fait, notre histoire actuelle est le produit de cette histoire-là. D'ailleurs, de nombreux membres du personnel politique aujourd'hui, encore en activité, ont connu cette période-là. En France, il y a une longévité politique exceptionnelle !
A.D. Je vais revenir à deux thèmes plus légers de la bande dessinée. Lors de l'entretien avec Colcombet, il vous reçoit chez lui et vous déjeunez sur sa terrasse. Très rapidement une guêpe énervante vous tourne autour et vous irrite et là, très sobrement, au milieu de la conversation très sérieuse, Colcombet vous dit : "vous devriez la tuer". C'est assez drôle et en même temps dérangeant ! Alors, cette scène a-t-elle vraiment eu lieu ? Ou est-ce que vous la racontez comme une anecdote légère, décalée ? Ou doit-on l'interpréter dans sa dimension métaphorique : quand quelqu'un vous ennuie, il suffit de le tuer ? Ou alors ne souligne-telle pas le caractère exaspérant de cette affaire où finalement, on tournera toujours en rond puisqu'il n'y aura jamais de fin réelle?

E.D. Ben voilà ! D'abord, la question est-ce que ça a vraiment eu lieu ? Oui, bien sûr, il n'y a rien dans ces pages qui n'ait pas eu lieu, absolument !
B.C. Je tiens les enregistrements à votre disposition !
E.D. Donc oui, ces guêpes étaient là, pour tout vous dire, il y avait sur la table des choses très sucrées. Depuis le début du repas, il y avait des guêpes qui nous tournaient autour, alors qu'on évoquait toutes ces histoires-là et qu'on était fascinés par ce que notre interlocuteur nous racontait et qu'on était aussi parasité par ces bestioles qui nous tournaient autour. Et voilà, il a eu simplement cette phrase :"vous devriez la tuer" qui est totalement anecdotique. Ça revient à ce dont on parlait toute à l'heure, c'est-à-dire que la façon dont se passe notre enquête nourrit notre enquête, même avec des éléments aussi latéraux et anecdotiques. Et pourquoi j'utilise cette séquence-là ? Parce que ça parle de ça. Ca parle de tout ce dont tu viens de parler : l'idée de la mort qui traîne tout autour, l'idée du danger permanent et puis l'idée que c'était comme ça, des principes fondamentaux qui étaient maniés en permanence. Et cette guêpe s'est invitée dans le récit comme elle s'est invitée dans le repas ! 
A.D. A la fin de cet entretien, on voit votre voiture s'éloigner et vous avez un très bref échange plutôt sarcastique, où manifestement s'exprime le refus d'adhérer à ce qui vient d'être dit. Pourquoi faites-vous ce commentaire ? En général, vous faites peu de commentaires sur les entretiens, et là, on dirait que vous n'avez pas pu vous en empêcher, c'était le cas ?


E.D. Je ne crois pas que ce soit parce qu'on ne croyait pas à ce qu'il venait de dire. C'est à propos de la ligne de démarcation ? Alors pour ceux qui n'ont pas encore lu La Revue dessinée, je remets dans le contexte. François Colcombet est un des fondateurs du syndicat de la magistrature, c'est aussi un élu, il a été maire je crois de Dampierre-sur-quelque chose, à deux heures au nord de Lyon. Et il se trouve que sa maison, dans laquelle il est né et dans laquelle il vit toujours, une belle petite demeure, un peu fatiguée mais avec beaucoup de cachet, était pendant la guerre sur la ligne de démarcation. Donc, il nous explique qu'il a grandi tantôt avec des soldats français, tantôt des soldats allemands, selon l'endroit où était la limite. Et la ligne de démarcation, au delà de son aspect historique bien connu, c'est aussi la ligne de l'endroit où on peut faire les choses, ou on ne peut pas les faire. C'est une ligne qui nous intéresse beaucoup dans l'histoire du Juge Renaud, parce que le juge Renaud, lui, il allait au-delà de la ligne de démarcation, il la franchit beaucoup !

A.D. Cette enquête sur la France secrète d’il y a trente ans est possible aujourd'hui car le recul et la distance permettent l’accès à des documents d’archives, à des travaux d'historiens ou de journalistes. Pensez-vous qu’il aurait été possible de faire ce reportage quelques années après la mort du juge ? Et de la même façon, pensez vous qu'il serait possible d’enquêter sur le financement illégal actuel des partis, un problème récurrent de la Vème république, remis sur le devant de la scène avec l’affaire Bygmalion ?
B.C. Oui et non ! Oui, parce qu'il y a des personnes qui acceptent aujourd'hui plus facilement de parler des faits qu'à l'époque, c'est incontestable Non, parce que il y a encore énormément de documents qui ne sont pas encore déclassifiés. On est en train, avec Etienne, de travailler sur les travaux de l'enquête de la commission parlementaire sur le Sac. On a réussi à avoir accès à un certain nombre de documents mais il y a des choses qu'on ne peut pas consulter. En même temps, on se demande pourquoi des témoins refusent encore de parler, notamment sur l'affaire Boulin. Malgré les années passées, il y a toujours une crainte. Dans les affaires de financement politique, aujourd'hui, il y a des procédures en cours sur des soupçons illégaux de campagnes électorales. Aujourd'hui, on ne tue plus, on utilise d'autres méthodes ! Mais cela reste compliqué de travailler sur ces sujets là. Sur le Sac par exemple, il n'y a pas un livre fait par un historien. Si on compare avec l'Italie, sur l'enlèvement et l'assassinat d'Aldo Moro, ancien président du Conseil, il y a pléthore de livres, des kilos de littérature sur le sujet ! Il y a un déni en France de notre propre histoire.
E.D. Les gens qu'on rencontre pour ce livre sont plutôt âgés. On pourrait penser que le temps a passé, qu'ils pourraient parler. Pour le chapitre suivant, on a rencontré l'ancien patron des renseignements généraux qui approche les 90 ans. La première chose qu'il dit en ouvrant sa porte, c'est : je me suis auto perquisitionné mais je n'ai rien trouvé ! Alors, on a insisté, on l'a un peu cuisiné, on a pris le temps. Et quand sa femme est rentrée, il a dit "ils m'ont passé à la question, ils essaient de m'extorquer des aveux !". Malgré voilà, le temps passe, et les langues ne se délient pas !

Questions du public
Public. On a l'impression en lisant votre reportage que vous avez franchi une ligne de démarcation. Vous ré-ouvrez l'enquête à votre manière. N'avez-vous pas peur d'être inquiétés par des hommes politiques comme Chirac, Pasqua ou Giscard ?
B.C. Si on avait peur, on ne ferait jamais rien !! Ça fait longtemps que je travaille sur ce type de sujets. Quand j'ai rassemblé suffisamment d'éléments convergents, que je suis sûr de ce que je raconte, je considère que c'est de ma responsabilité, en tant que journaliste, de le présenter au public. Ce travail après a une autre vie. Bien sûr néanmoins qu'un danger existe et qu'il y a des enquêtes délicates.
E.D. Je reviens sur le livre de Benoît sur l'affaire Boulin que je vous recommande de lire. Ce livre existe depuis plusieurs années (Affaire Boulin, un homme à abattre, 2007). Il y a des révélations fracassantes. S'il avait pu être attaqué par les gens qui sont concernés, ils se seraient jetés dessus avec des armées d'avocats. Ils ne l'ont pas fait ! Ça prouve aussi la solidité du truc. La limite, elle est là ! Si on ne raconte pas trop de bêtises, si on ne dit rien d'autre que la vérité, on ne devrait pas être embêté judiciairement. Et puis, ce sera Frank Bourgeron qui aura les ennuis !

Public. Monsieur Bourgeron, est-ce que vous vous seriez lancé dans ce projet si vous n'aviez pas souscrit à cette thèse politique ?
F.B. Oui, bien sûr. Dès lors que l'on parle d'un sujet de cette nature, et qu'on demande à des auteurs ou des journalistes de travailler sur un sujet d'enquête, on ne préjuge pas de ce qui va arriver. On leur fait confiance, et cela va de soi de laisser la liberté totale d'enquête aux auteurs, d'autant que ces deux là sont expérimentés ! Sinon, en effet, je suis responsable de la publication, responsable juridiquement. S'il y a à un moment des éléments dans l'enquête qui sont de l'ordre de la diffamation, il y a un certain nombre de discussions et de contrôles éventuels. Dans ce cas précis, il n'y a pas de souci de ce genre là !

Public. Est-ce que vous n'avez pas l'angoisse de réveiller des démons ? Même si la plupart des personnes sont à présent grabataires et donc plus trop susceptibles de tenir un pistolet, des gens ne pourraient-ils pas vous menacer physiquement ?
E.D. Le temps a passé... Le courage qu'a mobilisé Yves Boisset pour faire son film... c'était à peine deux après les faits, là, tout était chaud, l'énergie était à vif. Le temps a passé, les passions sont moins vives. Encore une fois, si les faits qu'on raconte sont avérés, si les témoins qu'on sollicite sont fiables, si on ne présente rien qui soient factuellement inexacts, les risques sont minimes.
B.C. Le vrai courage, il a été effectivement du côté de ceux qui ont fait des choses à l'époque. Je reviens sur une série de livres et en particulier, l'éditeur Alain Moreau qui publiait à l'époque des ouvrages très incisifs. Je pense à celui de James Sarazin, un journaliste qu'on a rencontré d'ailleurs pour l'épisode 2, pour le travail sur le Sac. Il a écrit un livre M comme milieu, où il donne des noms. Il a été menacé à l'époque, comme il nous l'a raconté...
Le vrai courage, il était là. Il faut le faire quand on est en situation de le faire, prendre la responsabilité au poste où on est de dire les choses, de faire ce que notre conscience nous dicte. Après, c'est vrai qu' il y a aussi beaucoup d'autocensure. Je peux vous raconter une anecdote. J'avais rencontré Olivier Guichard, ancien Garde des Sceaux, un des derniers dinosaures du gaullisme, qui était très proche de Robert Boulin. Il me dit au cours de l'interview : bien sûr que non, Robert Boulin ne s'est pas suicidé ! C'était quand même énorme d'entendre, de la bouche d'un ancien gaulliste, tailler en pièce la version officielle du suicide. Mais il n'allait pas plus loin. Quelque temps après, après avoir écrit mon livre dans lequel je relate le fait, je le rencontre de nouveau, lui dis que je travaille toujours sur l'affaire Boulin, il me dit : ce n'est pas très raisonnable. Il me redit la même chose concernant Boulin mais il ne dit pas plus, il avait sa ligne de démarcation. Il avait dit déjà quelque chose d'énorme avec cette petite phrase. Quand je lui demande : qui pourrait me dire qui c'est ? Il me répond : vous savez, les gens meurent vite ! Effectivement, c'est un problème de rencontrer des témoins vivants de l'époque.
E.D. Par exemple, on aurait bien aimé rencontré Jean Charbonnel, qui est mort il y a quelques mois (février 2014). Ancien ministre de Gaulle, il prétendait connaître le nom des assassins. Il l'a dit sur un plateau télévisé. Mais il est décédé...


Public. Je me rappelle bien de cette époque dans laquelle j'ai vécu, et du film de Boisset dans lequel le terme Sac avait été censuré. Je me rappelle que les gens dans la salle criait SAC ! (pour couvrir les bip-bip de la censure). Dans ces années là, les années Pompidou, il y a eu aussi deux autres assassinats dont on a moins parlé, ceux de De Broglie et Fontanet. Est ce que vous avez l'intention d'en parler ?
B.C. On n'a pas l'intention de développer ces deux affaires là, qui ne sont pas vraiment les mêmes cas. De Broglie était quelqu'un qui était très impliqué dans des affaires douteuses. Il y a eu de nombreux mobiles possibles pour cet assassinat, y compris un règlement de compte avec les personnes douteuses avec qui il était en affaire. C'était un giscardien qui est passé du côté de Chirac, il y a donc aussi un arrière-plan politique très important. Jospeh Fontanet, lui, a un profil plus à la Boulin. C'était un acharné du travail, un personnage intègre, avec des valeurs républicaines très fortes, ancien ministre du Travail et qui s'est fait fusiller devant son domicile. On n'a jamais élucidé vraiment l'affaire. Il y a peut-être d'autres explications qui peuvent nous mener aussi au contexte de l'affaire du Juge Renaud. Je m'explique : Pierre Mérindol, un journaliste, un des meilleurs connaisseurs des affaires lyonnaises, a beaucoup écrit sur ces années là.
Il montre qu'il pourrait y avoir peut-être un lien possible entre toutes ces morts douteuses, y compris celle du juge Renaud en expliquant qu'en arrière-plan, il y a ce trésor de guerre des partis politiques. Par rapport à Fontanet, il indique qu'en 1974, Chaban-Delmas, candidat naturel des gaullistes, est trahi par Chirac et d'autres qui vont soutenir Giscard qui sera élu. Une partie de l'argent destiné pour le 2ème tour, dont l'argent du hold-up de Strasbourg, aurait financé un journal censé contrer le Monde, lancé dans les années 70 et dirigé par Fontanet. Mérindol s'interroge et se demande si Fontanet n'a pas été assassiné pour cela. Par des truands en lien avec le monde politique qui auraient réclamé une partie de leur dû. Pour donner un élément de contexte, juste après l'assassinat du juge Renaud, il y a l'enlèvement du fils Mérieux qui était le fils d'Alain Mérieux en lien avec le fameux labo pharmaceutique. Les Mérieux étaient très liés au parti gaulliste, il était de notoriété publique qu'ils versaient de l'argent à ce parti. Cet enlèvement va durer un certain moment, les ravisseurs vont demander une somme astronomique. Mérindol se demande là aussi si on n'est pas encore dans ce grand jeu autour de la cagnotte électorale pour récupérer cet argent. Pour finir de répondre à votre question, on essaye de se concentrer sur des cas emblématiques. Dans la bande dessinée comme dans le journalisme, on doit faire des choix ! On est obligé de prendre les sujets les plus éclairants mais vous avez raison, tout cela s'inscrit dans une série plus importante de meurtres politiques. Mais les affaires Boulin et du juge Renaud sont des affaires structurantes qui permettent de voir l'ensemble du tableau.

Public. Frank Bourgeron, vous êtes auteur de bande dessinée et aussi éditeur, ce n'est pas trop compliqué de gérer des personnes de votre confrérie ?
F.B. Je trouve cela plutôt agréable ! Etienne parlait tout à l'heure de l'aspect moine copiste qu'est l'auteur de bande dessinée, je sais ce que cela veut dire ! Je connais les angoisses du créateur face à sa planche, je sais par quoi on passe quand on se lance dans une telle bande dessinée de 200 pages, ce que cela implique. Cette connaissance là n'est pas celle des éditeurs en général. Face à un auteur, je prends des précautions. Je trouve agréable d'être dans ce  rapport, assez simple, dégagé des scories qu'on peut avoir avec un éditeur lambda. Et puis, on n'est pas un éditeur au sens classique du terme, on s'engage pour 20 ou 50 pages, on ne fait pas des albums, les enjeux ne sont pas les mêmes. Chez nous, c'est un laboratoire où les auteurs essaient des trucs, font des expériences et où on n'est pas parti pour trois ans de boulot ! Il y a des auteurs qui viennent en disant : moi je veux faire autre chose, je veux faire autrement, être à contre-emploi, quelque chose qui sorte de l'ordinaire. Il faut bien voir que le métier d'auteur de bande dessinée est une routine. Personnellement, je suis content d'en être sorti un peu...


Merci à tous ! La suite de la bande dessinée d'Etienne Davodeau et Benoît Colllombat est à lire dans le n° 7 de la Revue Dessinée en mars 2015. A très bientôt !

Merci à Magali pour son aide à la retranscription.
Les photos de la rencontre sont celles de Stéphane Mahot, A retrouver sur son site !


Une video chez Etienne Davodeau. Ouest France.




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