Rencontre avec Vanyda


Rencontre avec Vanyda, auteur de bande dessinée
avec des élèves de Première Bac Pro Transports du Lycée Washington-Touchard, Le Mans
 
Dans le cadre du Prix BD-Une Case en Plus- organisĂ© en Sarthe depuis plusieurs annĂ©es et pilotĂ© par une vingtaine de documentalistes, les Ă©lèves sont amenĂ©s Ă  lire et travailler sur 10 albums sĂ©lectionnĂ©s puis voter pour leur titre prĂ©fĂ©rĂ©. L’an dernier, en mai 2011, c’est Celle que je ne suis pas, premier volume d’une trilogie de Vanyda qui a Ă©tĂ© Ă©lu par les jeunes de troisièmes et secondes.
Nous avons pu rencontrer l’auteur en octobre 2012, les Ă©lèves sont Ă  prĂ©sent en première mais n’ont pas oubliĂ© leurs lectures !

(Pour plus de commoditĂ© de lecture, j’ai regroupĂ© les questions des Ă©lèves par thèmes)

 

PrĂ©sentation de l’auteur ou comment et pourquoi devient-on auteur de bande dessinĂ©e ?
 -Quel Ă¢ge avez-vous et depuis combien de temps faites-vous de la bande dessinĂ©e ?
-J’aurai 32 ans demain ! Cela fait 10 ans que je fais de la bande dessinĂ©e en tant que professionnelle. Mon premier album L’immeuble d’en face est sorti en 2003.
-Vanyda, c’est votre vrai nom ?
-C’est mon vrai prĂ©nom que j’ai utilisĂ© comme pseudo car il n’est pas très courant. Je me suis dit que cela pouvait faire l’affaire ! C’est un prĂ©nom laotien.
-Vous avez des origines ?
-Oui, j’ai des origines laotiennes !
-Avant de vous lancer dans la bande dessinĂ©e, est-ce que vous avez exercĂ© un autre mĂ©tier ?
-Non ! J’ai commencĂ© Ă  dessiner Ă  6 ans. A l’Ă©poque, je ne savais pas que c’Ă©tait un vrai mĂ©tier. Je me disais je trouverais bien un mĂ©tier et le soir, quand je rentrerais, je ferais de la bande dessinĂ©e. Et puis, quand j’ai eu 14-15 ans, je suis allĂ©e Ă  un festival BD et j’ai rencontrĂ© des auteurs qui m’ont expliquĂ© que c’Ă©tait un vrai mĂ©tier. A partir de ce moment lĂ , je me suis dit : « c’est ce que je veux faire ! »

Je vais vous montrer un extrait de cette fameuse bande dessinĂ©e que j’ai faite Ă  6 ans. VoilĂ  c’Ă©tait des bonhommes bĂ¢tons, un dessin très simpliste ! C’est ça qui est bien avec la bande dessinĂ©e, c’est qu’on n’est pas obligĂ© de bien dessiner. L’important, c’est que la narration se fasse, qu’on comprenne ce qui se passe. A l’Ă©poque, je n’Ă©tais pas encore influencĂ©e par les mangas. Après, ça Ă©tĂ© le cas ! Vous reconnaissez ça ?

-Oui, les Chevaliers du Zodiaque !
-VoilĂ , c’Ă©tait un dessin animĂ© qui passait Ă  l’Ă©poque. A partir de ce moment lĂ , je n’ai pas arrĂªtĂ© de copier les dessins animĂ©s que je voyais. LĂ , j’ai utilisĂ© du feutre et des crayons de couleurs, vous voyez, la couleur est un peu passĂ©e… Ensuite, j’ai dessinĂ© ça, vous reconnaissez ?
-Olive et Tom !
-Oui, c’est ça ! J’Ă©tais un peu frapadingue ! Je ne dessinais tout le temps que cela ! Regardez lĂ , j’ai fait aussi un peu de Dragon Ball. Après, j’ai dĂ©couvert la bande dessinĂ©e franco-belge et en particulier Thorgal. Je ne sais pas si elle est au CDI ?
-Oui, bien sĂ»r !
-Ensuite, les premiers mangas que j’ai lus et qui m’ont vraiment marquĂ©e, c’Ă©tait Gunm, VidĂ©o Girl AĂ¯ puis Akira. J’Ă©tais vraiment impressionnĂ©e par la façon de mettre en scène, par le dĂ©coupage…Donc, j’ai mĂ©langĂ© mes influences de dessin animĂ©, de manga avec la bande dessinĂ©e et voilĂ , ce que ça a donnĂ©. Voici ma première bande dessinĂ©e, un peu plus Ă©laborĂ©e !
-Vous aviez quel Ă¢ge ?
-A cette Ă©poque-ci, j’avais 10 ans ! J’en ai fait des pages et des pages…
-On peut dire que vous aviez un don ou un talent alors ?
-Je ne dirais pas que c’est un talent innĂ©… c’est surtout qu’Ă  force de travailler, on s’amĂ©liore.
-Vous faisiez cela en rentrant chez vous le soir ?
-Oui, et puis comme j’Ă©tais très timide et que je n’avais pas trop d’amis, j’aimais bien dessiner.
-En observant et en recopiant ?
-En recopiant surtout… mĂªme la forme des bulles, je la copiais sur Thorgal !
-Mais les histoires, vous les inventiez ?
-Oui, j’inventais mes propres histoires… Mais il y a peu de temps, j’ai relu quelques pages, c’Ă©tait vraiment mauvais, complètement incohĂ©rent ! J’inventais au fur et Ă  mesure ! Ce n’est plus du tout ce que je fais. Il vaut mieux avoir une trame gĂ©nĂ©rale au dĂ©part, savoir ce qu’on va raconter.
-Quel est votre parcours scolaire ?
-J’ai eu un parcours scolaire habituel jusqu’en troisième puis j’ai Ă©tĂ© en seconde Arts AppliquĂ©s. Ensuite, j’ai Ă©tĂ© rĂ©orientĂ©e en première S, on me disait que j’Ă©tais meilleure en maths qu’en dessin. J’ai donc eu mon bac S. Puis, je suis partie aux Beaux Arts en Belgique, en section BD. J’habitais Lille et juste de l’autre cĂ´tĂ© de la frontière, il y avait les Beaux Arts qui proposait une section bande dessinĂ©e Ă  Tournai. En France, il y a peu d’Ă©coles qui proposent une formation bande dessinĂ©e. Il y a AngoulĂªme mais le concours d’entrĂ©e n’est pas facile ! Après, il ya des Ă©coles privĂ©es mais c’est cher ! En Belgique, c’est moins cher et c’est plus facile d’accès. A Tournai, il n’y a pas de concours d’entrĂ©e mais une espèce d’Ă©crĂ©mage se fait au cours de l’annĂ©e. Beaucoup abandonnent en cours de route. Car ils se rendent compte que s’ils aiment dessiner, ils n’aiment pas forcĂ©ment raconter une histoire. Et effectivement, ce n’est pas du tout le mĂªme mĂ©tier. Dans la bande dessinĂ©e, on va dessiner le mĂªme personnage pendant des pages et des pages, il faut en avoir envie ! Certains aiment changer de style Ă  chaque dessin. Pour nous, ce n’est pas possible sur une bande dessinĂ©e, il faut que le personnage se ressemble du dĂ©but jusqu’Ă  la fin de l’histoire. Alors, sinon, les Beaux Arts, ça dure quatre ans. Ce qui est bien lĂ , en plus de la formation, c’est qu’on est avec des gens qui ont la mĂªme passion que vous. Vous construisez votre rĂ©seau. J’Ă©tais en relation par exemple avec des Ă©tudiants qui Ă©taient dans les classes au dessus de la mienne, ils sont donc sortis de l’Ă©cole avant moi, ont rencontrĂ© des Ă©diteurs, ils m’ont donnĂ© les adresses qu’ils avaient, c’Ă©tait bien !
 

A propose de Celle que
-Votre histoire Celle que…, est-elle autobiographique ?
-Elle est inspirĂ©e d’Ă©vènements qui me sont arrivĂ©s mais aussi de choses qui sont arrivĂ©es Ă  ma sÅ“ur ou Ă  mes cousines. Je suis partie de ma propre vie mais j’ai inventĂ© plein de choses. Par exemple, Valentine ne dessine pas, mais j’ai fait de la gym comme elle. Je n’ai pas fait de club manga au lycĂ©e comme Valentine parce que ça n’existait pas encore ! En bande dessinĂ©e, on appelle ça parfois de l’autofiction, quand on part de sa propre vie pour raconter une fiction.

-Comment vous choisissez les titres ? Qu’est ce que vous vouliez dire avec ce titre qui se rĂ©pète ? (Celle que je ne suis pas, Celle que je voudrais Ăªtre, Celle que je suis)
-Pour L’immeuble d’en face, c’Ă©tait facile. Ça se passe dans un immeuble… Pour Celle que, c’Ă©tait plus compliquĂ©. Je voulais que l’on qu’on repère bien qu’il s’agit de la mĂªme sĂ©rie et qu’on comprenne tout de suite qu’il y allait avoir une Ă©volution du personnage. D’oĂ¹ cette dĂ©clinaison. Mais c’est un peu long comme titre ! Du coup, les gens disent souvent : la bande dessinĂ©e de Valentine. En fait, je me suis inspirĂ©e d’un manga qui portait comme titre le nom de l’hĂ©roĂ¯ne et en sous titres : tome 1 : cĂ©libataire, 27 ans, tome 2 : mariĂ©e, 28 ans…etc. ça Ă©voluait, c’est un peu le mĂªme genre d’idĂ©es. Mais ce n’est pas facile de trouver un bon titre !

-Pourquoi ce prĂ©nom de Valentine ? Y-a-t-il une rĂ©fĂ©rence derrière ce prĂ©nom ?
-Comme le rĂ©cit est un peu inspirĂ© de mon histoire personnelle, je voulais un prĂ©nom qui commence comme le mien ! Dans le tome trois -que vous ne pouvez pas avoir encore lu puisqu’il sort aujourd’hui-, il y a une rĂ©fĂ©rence Ă  un standard de jazz My Funny Valentine. Mais ce n’est pas ça le point de dĂ©part…

-Est-ce que vous vouliez toucher un public surtout fĂ©minin ? Je dis ça aussi par rapport Ă  la couverture…
-Parce que celle lĂ  est rose ?
-Oui, mais aussi parce que j’ai l’impression que vous parlez surtout de problèmes de filles, est ce que c’est volontaire de votre part ?
-Je ne sais pas si c’est un problème uniquement de fille d’Ăªtre timide, de ne pas bien se sentir dans son groupe d’amis… je pense que ça arrive aussi aux garçons ! C’est un personnage fĂ©minin, alors peut-Ăªtre est-il plus facile de se projeter pour une lectrice mais ce n’est pas une volontĂ© particulière de ma part, je ne voulais pas faire un livre girly ! Le personnage ne parle pas de shopping ou de choses comme ça ! Bref, vouloir savoir qui on est n’est pas exclusivement fĂ©minin…
-Il y a des garçons d’ailleurs qui ont apprĂ©ciĂ© la lecture de Celle que…
-Bien sĂ»r, et mon public n’est pas qu’adolescent d’ailleurs. J’ai rencontrĂ© un monsieur d’une quarantaine d’annĂ©es qui m’a dit s’Ăªtre beaucoup retrouvĂ© dans Valentine. Lui aussi, quand il Ă©tait ado, il Ă©tait mal dans sa peau et n’arrivait pas Ă  se positionner dans un groupe. Ma mère aussi m’a dit « je me suis beaucoup retrouvĂ©e ! », je pensais qu’elle parlait de la mère de Valentine mais en fait, elle voulait dire qu’elle s’Ă©tait retrouvĂ©e dans Valentine…

-Et quand vous Ă©crivez, est ce que vous ciblez votre public ?
-Pas vraiment ! Je fais la bande dessinĂ©e que j’ai envie de faire, ce sera plutĂ´t le travail de l’Ă©diteur de savoir Ă  qui ça va plaire et de savoir le vendre. Moi, je ne fais pas de marketing !
Pour Valentine, après coup, je sais que ça touche plus un public ado que ma bande dessinĂ©e L’immeuble d’en face. Mais au dĂ©part, je ne me suis pas dit : « Ah, je vais toucher le public ado ! » Non, je me rappelle juste de mon adolescence, j’ai envie de dire des choses sur cette pĂ©riode, c’est tout !

-Pourquoi avez-vous choisi de dĂ©velopper le rĂ©cit sur une annĂ©e scolaire ?
-Parce qu’il y a beaucoup de choses qui changent dans une annĂ©e scolaire ! Tout d’abord, tout est bouleversĂ© en dĂ©but d’annĂ©e, vous n’Ăªtes pas dans la mĂªme classe, avec les mĂªmes personnes que l’an dernier, vos habitudes sont transformĂ©es… et c’est aussi cela qui permet d’Ă©voluer. Valentine est dans un groupe très soudĂ© au dĂ©part, mais qui tourne un peu en rond, sur lui-mĂªme. Le fait qu’elle doive changer de classe et rencontrer de nouvelles personnes, ça lui permet de s’ouvrir et de s’apercevoir qu’elle n’est pas forcĂ©ment que la suiveuse, qu’il n’y a pas forcĂ©ment une chef de groupe non plus…

-Les dĂ©cors dans l’album Celle que… sont-ils des lieux rĂ©els ? Ceux de votre ville ?
Plus ou moins. J’habite Ă  Lille. J’ai Ă©tĂ© au lycĂ©e Ă  Lille mais ce n’est pas celui qui est dans la bande dessinĂ©e, c’est un lycĂ©e inventĂ©, j’ai mĂ©langĂ© le collège oĂ¹ j’Ă©tais dans le Sud avec le lycĂ©e que j’ai frĂ©quentĂ© ensuite dans le Nord ! Il y a par contre de vrais dĂ©cors pris Ă  Lille tel quel et d’autres que j’ai un peu arrangĂ© Ă  ma convenance. Je travaille parfois avec des photos mais je ne dĂ©calque pas, je m’en inspire ! J’avoue avoir dĂ©calquĂ© des voitures parce que je suis nulle en voitures ! Je ne ferai pas une bande dessinĂ©e comme Michel Vaillant avec des courses de voitures !

-Combien de temps s’est Ă©coulĂ© entre chaque volume de la sĂ©rie ?
-En gĂ©nĂ©ral, il me faut un an pour faire un volume. C’est ce qui s’est passĂ© pour le volume 1 et 2. Entre le tome 2 et 3, par contre, comme j’ai dessinĂ© le volume 3 de L’immeuble d’en face, deux ans se sont Ă©coulĂ©s… c’Ă©tait un peu long, mais je ne peux pas aller plus vite !

-Avant ce livre lĂ , vous aviez dĂ©jĂ  fait un livre ?
-Avant, j’ai fait cette sĂ©rie L’immeuble d’en face qui raconte le quotidien des habitants d’un mĂªme immeuble qui se croisent et qui commencent Ă  se connaĂ®tre. C’est en trois volumes, et c’est un peu plus adulte. Il y a un couple d’Ă©tudiants, une maman et ses enfants et un vieux couple avec un chien ! C’est aussi du quotidien, la vie de tous les jours, comme dans Valentine mais dans un autre milieu. J’ai Ă©galement fait L’annĂ©e du dragon avec François Duprat, un copain des Beaux Arts, qui m’avait Ă©crit un scĂ©nario et c’est moi qui l’ai dessinĂ©. Il Ă©tait en couleurs !

-Pourquoi vous avez choisi ensuite le noir et blanc ?
-C’est une influence des mangas ! Parce que j’en ai lu beaucoup et que j’aimais bien ! C’est aussi un choix... Le fait de faire du noir et blanc permet de rĂ©aliser plus de pages : c’est moins cher Ă  imprimer et moi, j’aimais bien l’idĂ©e d’avoir beaucoup de pages pour raconter mon histoire. Le format classique franco-belge, c’est 46 pages couleurs. Moi, je trouve que c’est trop court ! J’ai fait plutĂ´t ici 4 fois 46 pages ! C’est aussi un choix personnel pour pouvoir raconter d’une certaine façon. Sur 46 pages, il y a des choses qui ne peuvent pas passer ! SuggĂ©rer, ralentir, prendre le temps… VoilĂ  ces pages oĂ¹ on voit Valentine sous la pluie (c. volume 2), il ne se passe pas vraiment quelque chose. Cette mise en scène, ce n’est pas possible dans un format classique, cela prendrait trop de place par rapport au nombre de pages finales. Mais avec cette pagination, c’est possible. Le format d’ailleurs rappelle celui du manga, mais en plus grand, ça s’appelle en fait un format roman graphique. C’est moi qui ai demandĂ© ce format Ă  l’Ă©diteur et il Ă©tait d’accord ! Comme j’avais eu Ă©galement ce format pour L’immeuble d’en face et que le titre avait bien marchĂ©, ça a dĂ» le dĂ©cider !

-C’Ă©tait le mĂªme Ă©diteur ?
-Non, pas du tout ! L’immeuble d’en face a Ă©tĂ© publiĂ© par La Boite Ă  Bulle, une toute petite maison d’Ă©dition parisienne alors que celui lĂ  - Celle que…- est chez Dargaud, qui est une très grosse boite internationale ! Moi, je travaille avec l’Ă©quipe belge qui est Ă  Bruxelles et qui est très sympa ! Et je vais probablement resigner un nouveau projet chez eux. Ce sera un recueil d’histoires d’amour, avec une technique de dessin très diffĂ©rente pour changer un peu. Parce que ça fait dix ans que je dessine de la mĂªme manière, j’en ai un peu marre ! En voici quelques pages…
-C’est de la peinture ?
-C’est de l’Ă©coline, de l’encre de couleurs. LĂ , c’est une bichromie, c’est du noir diluĂ© et de l’orange.
-Tout l’album sera dans cette tonalitĂ© ?
-Non, comme c’est un recueil, je pense que je vais changer de couleurs pour chaque histoire qui sera indĂ©pendante mais avec des personnages qui se croisent…

 

A propos du mĂ©tier d’auteur de bande dessinĂ©e
-Comment travaillez-vous ?
-Je suis Ă  la fois scĂ©nariste et dessinatrice. Souvent, dès le dĂ©but, je mĂ©lange un peu dessin et scĂ©nario. Un scĂ©nario pour une de mes bandes dessinĂ©es ressemble Ă  ça : une ligne du temps oĂ¹ je marque les Ă©vènements, les scènes que j’ai dans la tĂªte dans l’ordre que j’estime Ăªtre le bon. Parfois, ça arrive que je change… Pour chaque scène Ă©crite, je dĂ©coupe en brouillon avec Ă  peu près le cadrage des cases et les bulles et dialogues esquissĂ©s. Rien n’est forcĂ©ment dĂ©finitif. C’est lĂ  que je dĂ©cide combien de pages fera une scène.
VoilĂ  des planches originales.


 
 
Papier A4, un papier ordinaire comme on met dans les imprimantes. Je travaille avec du feutre. LĂ , il n’y a ni bulles ni tour de cases. Je fais les cases au crayon puis après l’encrage des personnages, je gomme ces bords de cases. Je scanne ensuite ma page et je rĂ©alise cela –bulles et bord de cases- sous Photoshop.
-Et les trames ?
-Les trames aussi, c’est Ă  l’ordinateur, sous Photoshop. On a plein de motifs diffĂ©rents et on choisit le plus adaptĂ© !
-Chaque dessin est donc passĂ© sous Photoshop ?
-Oui, chaque page est scannĂ©e. Parfois, j’agrandis ou rĂ©trĂ©cis des Ă©lĂ©ments. VoilĂ  l’original et celle travaillĂ©e avec bulles, cases et trames.
-Combien de temps pour une page comme celle lĂ  ?
-Je passe environ deux jours pour une page comme ça. Ce n’est pas dessiner qui est long, de plus, mes pages ne sont pas très grandes et je n’ai pas beaucoup d’images par planches. Ce qui est long en fait, c’est trouver la bonne position ou la bonne expression du personnage qui corresponde Ă  ce qui se passe dans la bande dessinĂ©e, c’est la mise en scène ! Parfois, on fait un beau dessin mais s’il ne correspond pas Ă  ce qu’on raconte, ça ne sert Ă  rien !

-Quel est votre rythme de travail ?
-Je travaille en atelier. Avec d’autres dessinateurs de bande dessinĂ©e, on loue un local oĂ¹ on va travailler tous les jours. On a fait des horaires –comme des gens normaux ! Du lundi au vendredi, 10h-19heures. Après, comme on est nos propres patrons, on fait ce qu’on veut ! En fait, en accord avec l’Ă©diteur, on choisit un dĂ©lai, un moment oĂ¹ on doit rendre toutes les pages pour qu’elles soient imprimĂ©es. L’Ă©diteur programme une sortie en librairie, il faut respecter les dĂ©lais pour que ça corresponde ! Après chacun organise son travail comme il l’entend. Moi, j’aime bien avoir un rythme comme les gens normaux, sinon après on ne sait plus quand on doit travailler ou pas ! Pour ce tome 3, comme j’avais pris beaucoup de retard parce que j’ai prĂ©parĂ© d’autres projets avant, j’ai dĂ» faire les trois quarts de l’album dans la moitiĂ© du temps, donc lĂ , pas de vacances ni de week end pendant cinq mois ! C’est un choix personnel, c’est moi qui organise mon temps, et si je m’organise mal, et bien, c’est de ma faute !

Les relations avec l’Ă©diteur
-En gĂ©nĂ©ral, on ne se lance pas dans la rĂ©alisation d’une bande dessinĂ©e si on n’a pas un Ă©diteur qui est prĂªt Ă  la publier. Pour prĂ©senter un projet Ă  un Ă©diteur, on lui propose 3 ou 4 pages finies, le scĂ©nario Ă©crit qui se prĂ©sente comme un rĂ©sumĂ©, et puis les personnages avec leurs caractĂ©ristiques physiques et ce qui va leur arriver.
 


VoilĂ  des personnages dessinĂ©s par François Duprat, l’ami avec qui j’avais fait L’annĂ©e du dragon. LĂ , c’est pour notre prochain projet, c’est moi qui Ă©cris le scĂ©nario et c’est lui qui dessine. Vous voyez lĂ  sa recherche de personnages, avec des positions diffĂ©rentes ainsi que le descriptif des personnages. VoilĂ  ce qu’on peut envoyer Ă  un Ă©diteur soit par mail soit par courrier. Après, on n’a plus qu’Ă  attendre !
-Donc, vous ne dessinez pas la bande dessinĂ©e si vous n’avez pas de rĂ©ponse ?
-Non, parce que faire un album, ça prend en gĂ©nĂ©ral un an. Dessiner un an sans avoir d’Ă©diteur, ça veut dire sans Ăªtre payĂ©… Ce n’est pas possible !
-Alors vous faites quoi en attendant ? Vous travaillez sur d’autres sujets ?
-Personnellement, j’ai d’autres petits contrats. Je fais des couvertures pour la collection CÅ“ur Grenadine chez Bayard, je fais des affiches, des dessins pour la pub. Quand je fais des interventions comme aujourd’hui, je suis payĂ©e aussi. Il y a plusieurs façons d’utiliser le dessin pour gagner sa vie. Si un projet n’est pas retenu, il faut passer Ă  un autre. Ca peut Ăªtre très frustrant et très triste si l’histoire vous tient Ă  cÅ“ur et qu’aucun Ă©diteur n’est intĂ©ressĂ©.
-Vous contactez combien d’Ă©diteurs pour un projet ?
-Pour ma première bande dessinĂ©e, j’ai envoyĂ© quinze dossiers Ă  quinze Ă©diteurs diffĂ©rents. J’ai reçu sept rĂ©ponses nĂ©gatives, six n’ont pas rĂ©pondu et un a dit oui ! Alors, j’ai pris celui lĂ  ! Ca s’est très bien passĂ© ! Mais c’est mieux d’avoir un peu le choix. C’est aussi une question de prix, l’Ă©diteur peut vous dire oui mais s’il ne vous paye presque pas, ce n’est pas très intĂ©ressant pour vous !
-Combien et comment Ăªtes vous payĂ©e?
-Je suis payĂ©e Ă  la page ! Pour ces albums lĂ  du moins.
-Ah, c’est pour ça que vous en faites beaucoup (de pages)  !
-Non, ce n’est pas vrai car pour ceux-ci, c’Ă©tait un forfait au livre ! En gĂ©nĂ©ral, les auteurs de bande dessinĂ©e sont payĂ©s en avance sur droits. Ca veut dire que sur chaque album vendu, on gagne un pourcentage du prix de vente. Mais pour qu’on puisse vivre pendant qu’on fait la bande dessinĂ©e, on est payĂ© en avance sur droits. Avance qui est dĂ©duite après la publication, c'est-Ă -dire que l’Ă©diteur ne nous payera sur les ventes que quand il se sera remboursĂ© l’avance qu’il nous a faite. LĂ , sur chaque album, je toucherai 1,50 euros. Il est vendu 14 euros.
-Ça ne fait pas beaucoup !
-On ne touche qu’1,50 euros sur chaque bande dessinĂ©e parce qu’il y a plein d’intermĂ©diaires entre moi et vous ! L’Ă©diteur prend une part pour son travail d’Ă©diteur, il y a aussi l’impression, l’acheminement, le libraire, le stockage et après la TVA !
-Pour tous les livres, c’est comme ça ?
-Oui !
-Et le tirage de livres, ça se dĂ©cide comment ? Vous avez votre mot Ă  dire ?
-En fait, c’est l’Ă©diteur qui dĂ©cide en Ă©valuant le nombre potentiel d’acheteurs. Dans les librairies, il y a un reprĂ©sentant qui passe et qui montre au libraire ce qui va sortir. Et le libraire dĂ©cide combien il va prendre d’exemplaires de ce livre lĂ , en fonction de ce qu’il sait de son public. Toutes ces informations remontent et l’Ă©diteur fait un calcul de ces prĂ©commandes et il va ajuster en fonction son tirage. Pour le tome 1 de Celle que, le premier tirage Ă©tait de 6000 exemplaires et puis au bout de 6 mois, l’Ă©diteur a dĂ©cidĂ© de le rĂ©imprimer parce qu’il y avait toujours des commandes. Le deuxième tirage Ă©tait de 2000 exemplaires, ce qui fait donc 8000 en tout pour ce volume. Quand le tome 2 est sorti, l’Ă©diteur a dĂ©cidĂ© de tirer directement Ă  8000 exemplaires. Et lĂ , le tome 3 est Ă  9.000 exemplaires. L’Ă©diteur ajuste donc en permanence en fonction du public. Stocker des livres, ça coĂ»te très cher et les Ă©diteurs prĂ©fèrent rĂ©imprimer un titre plutĂ´t que d’avoir des stocks de livres dans un hangar.

-Vos albums sont vendus en France et en Belgique ?
-Oui, ainsi qu’au Canada, en Suisse, dans tous les pays francophones. Il n’est pas encore traduit pour l’instant.

 

Questions diverses
-Est-ce que ça vous arrive de vous Ă©loigner de la bande dessinĂ©e tout en restant dans le dessin ?
-Assez peu, car la bande dessinĂ©e m’occupe beaucoup ! Pourtant, faire des travaux de commandes comme par exemple des affiches ou des couvertures rapporte plus financièrement et plus rapidement. Mais ce ne sont pas des choix personnels, on vous donne des contraintes prĂ©cises. Ma passion, c’est la bande dessinĂ©e, c’est ce que je prĂ©fère faire ! On est plus libre, c’est bien plus agrĂ©able !

-Est-ce que le cinĂ©ma d’animation, ça vous tenterait ?
-J’aimerais bien que mes bandes dessinĂ©es soient adaptĂ©es en dessin animĂ©. Par contre, je n’aimerais pas travailler dessus. J’ai l’habitude de travailler seule ou Ă  deux, en toute petite Ă©quipe, alors que le cinĂ©ma d’animation, ce sont des Ă©quipes Ă©normes, avec plein d’intermĂ©diaires. Et une idĂ©e, une fois qu’elle est passĂ©e par quinze personnes, en gĂ©nĂ©ral, elle en ressort un peu dĂ©naturĂ©e.

-Quels sont les auteurs qui ont Ă©tĂ© importants pour vous ? Les avez-vous rencontrĂ©s ? Vous Ăªtes-vous inspirĂ©e de leur travail ?
-J’ai lu beaucoup de bandes dessinĂ©es, je ne me suis pas faite toute seule, beaucoup lu et beaucoup recopiĂ©. Comme j’Ă©tais fan de Thorgal, j’ai rencontrĂ© Rosinski, mais il est un peu inaccessible, c’est une grosse grosse pointure !

-Mais comment accède-t-on Ă  la notoriĂ©tĂ© ?
-C’est surtout le public qui fait la notoriĂ©tĂ© d’un auteur ! Si vos livres sont beaucoup achetĂ©s, lus, alors le nom de l’auteur circule…
-Oui, mais c’est dur alors si votre histoire vous semble super et que le public n’accroche pas ?
-Oui, mais c’est le jeu !!! Il y a aussi des histoires qui ne touchent pas un grand public mais un public bien ciblĂ©. Du moment que l’Ă©change se fait avec ce public lĂ , c’est bien. J’estime que tous les livres ont le droit d’exister mĂªme si le public est restreint.

-Y a-t-il de la concurrence dans votre mĂ©tier ?
-Non, en gĂ©nĂ©ral on est plutĂ´t solidaires ! On ne se dit pas : « ah, Untel a fait une bande dessinĂ©e sur l’adolescence, moi aussi, je voulais en faire une, il va la faire mieux que moi ! Il va me prendre du public ! ». Au contraire, quand on fait des choses qui se ressemblent, on aime bien comparer, voir comment l’autre a Ă©tĂ© inspirĂ© ! Il y a de la place pour tout le monde !

-ConsidĂ©rez-vous vos Å“uvres plutĂ´t comme des mangas ou plutĂ´t comme des bandes dessinĂ©es ?
Pour moi, c’est la mĂªme chose ! J’ai eu une influence manga Ă  travers les dessins animĂ©s que je regardais quand j’Ă©tais plus jeune. Mais manga, ça veut dire bande dessinĂ©e en japonais, alors on est toujours dans de la bande dessinĂ©e. Les mangas ont nĂ©anmoins une spĂ©cificitĂ© : ils sont prĂ©-publiĂ©s dans des magazines qui sortent rĂ©gulièrement, tous les mois ou toutes les semaines, c’est un rythme très soutenu de publication. Alors que moi, ce n’est pas du tout le mĂªme rythme de parution. Alors, est-ce qu’on peut dire que c’est du manga ? Pas vraiment et je suis bien contente de ne pas avoir le rythme de parution des japonais, très intense !

-Est-ce que ça vous intéresserait de faire des bandes dessinées avec beaucoup de violence ?
-Tu veux dire avec du sang et des meurtres ?
-Oui !
-Non ! Je ne pense pas, je ne dis pas que ça n’arrivera jamais, mais pour l’instant, ce n’est pas ce qui m’intĂ©resse le plus ! Tu vois, mĂªme quand je regardais les Chevaliers du zodiaque ou Olive et Tom, ce qui m’intĂ©ressait, c’Ă©tait les scènes entre les combats ou les matchs ! C'est Ă  dire les passages oĂ¹ les personnages vivaient leur vie de tous les jours. Ce sont ces moments lĂ  que je souhaite dĂ©velopper. Dans ma première bande dessinĂ©e, j’avais mis de l’aventure et des combats et au fur et Ă  mesure, ces scènes se rĂ©duisaient pour laisser place au quotidien… Par contre, j’aime bien lire d’autres bandes dessinĂ©es dans des genres diffĂ©rents, mais moi, Ă  dessiner, ce n’est pas ce qui me plait le plus.

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