Interview de Vanyda

Réalisée en public, Café BD au café St Pierre (Le Mans), le 18 septembre 2009.
Avant de parler de votre activité éditoriale, je vous propose de revenir un court instant sur votre parcours dans la bande dessinée. Comment êtes vous devenu auteur de bande dessinée ? C’est une idée qui s’est imposée à vous très vite, assez jeune ou c’est plutôt une envie qui peu à peu s’est construite et a pris forme ?
J’ai commencé ma première bande dessinée à 6 ans, ça m’est tombé dessus assez vite ! Je faisais des bonshommes bâtons. Puis vers 11 ans, des personnages semi réalistes avec de grands yeux, déjà quelques mises en scènes…et j’ai continué à en dessiner tout le temps, sans jamais arrêter. Juste deux ou trois ans, au moment où je voulais faire du dessin animé. J’en regardais beaucoup à la télé et je voulais faire pareil mais à 10 ans, c’était un peu compliqué ! Je dessinais beaucoup de plans fixes, des trucs qui auraient pu devenir du dessin animé et puis, je suis revenue à la bande dessinée après avoir lu Thorgal. Auparavant, je n’avais lu que de la bande dessinée franco belge, gros nez, Astérix, Boule et Bill… J’aimais bien mais ça ne m’a pas donné envie d’en faire! Alors que Thorgal, dans un dessin semi réaliste, dans un registre dramatique m’a convaincu…

Vous avez étudié à l’école des Beaux Arts de Tournai. Est-ce que vous avez beaucoup appris ? Est ce important pour un auteur de bande dessinée de recevoir un tel enseignement ?
Faire des études dans le domaine, ce n’est pas forcément nécessaire mais cela permet de progresser plus vite. Quand on y est, on ne comprend pas forcément l’utilité des cours ! Mais on fréquente aussi d’autres gens qui dessinent, qui aiment ça, qui n’ont pas la même vision que vous, cela ouvre énormément, permet de progresser plus vite, cela aide à vous découvrir plus vite. J’ai appris 50% avec les profs, 50% avec les copains ! De ma classe, finalement, je suis la seule à exercer dans la bande dessinée. Dans le domaine artistique, il faut avoir beaucoup de confiance en soi….
On vous a découverte avec L’immeuble d’en face, un titre qui compte deux volumes pour l’instant, bientôt un 3ème. Un récit où l’on découvrait le quotidien de personnages qui n’ont au départ en commun que le fait d’habiter le même immeuble. Peu à peu, on rentre dans leur intimité respective et eux aussi en même temps de croisent et se découvrent. C’est un récit que vous avez auto édité (avant qu’il ne soit publié par la Boite à Bulles). Vous ne trouviez pas d’éditeur ?

En fait je n’ai pas cherché d’éditeur au départ. Car cette histoire, je l’ai réalisée aux Beaux Arts. On avait des sujets tous les trois mois environ, avec des histoires prévues en une dizaine de pages. C’était des projets courts et moi, j’avais envie de faire un projet long. J’ai trouvé le stratagème de faire des chapitres avec des personnages récurrents. L’histoire était bien close en 10 pages mais mis bout à bout, on avait une grande histoire ! Puis les profs aux Beaux Arts nous ont incités à faire un fanzine, pour avoir une finalité, avoir des lecteurs. J’ai donc fait paraître L’immeuble d’en face dans ce fanzine. Je n’ai même pas pensé à la publier différemment.
Par contre, pour L’année du dragon réalisé avec François Duprat, j’ai cherché un éditeur et là, ça s’est avéré difficile ! C’est un peu paradoxal, car L’immeuble d’en face, c’est l’éditeur qui a vu l’autoédition et qui a proposé sa publication. Et de l’autre côté, on ne trouvait personne pour L’année du dragon !
Après le joli succès critique de L’immeuble d’en face (et public, 10 000 exemplaires vendus) les choses ont dû s’arranger ?
Oui, ça m’a aidé car après tout s’est enchaîné ! et je n’ai jamais plus eu à chercher d’éditeur, ils sont toujours venus vers moi, pour un jeune auteur, c’est très confortable ! Passer de la Boite à Bulle à Dargaud, d’un éditeur alternatif au plus gros, c’est un sacré parcours. C’est Jean David Morvan, qui avait acheté la version autoéditée de L’immeuble d’en face, qui l’a donné aux gens de chez Dargaud, en disant « surveillez ce jeune auteur » et du coup, plus tard, ils sont venus me chercher !

Pour moi, ce récit vous situait plutôt dans la veine du récit graphique (publié chez un éditeur alternatif, préfacé par F. Boilet). On y perçoit une maturité plutôt atypique pour un premier album, une habileté graphique et narrative pour exprimer le déroulement du temps, pour jouer sur les non dits, les ellipses, rendre sensibles les émotions des personnages. Or, cet album se voit doter du prix du Meilleur Manga 2006 aux Etats-Unis, ce qui m’a surprise. Comment recevez-vous cette qualification ? Elle vous semble juste ?
Ce n’est pas injuste non plus ! J’ai une influence manga, c’est sûr mais d’autres aussi, donc c’est plutôt un métissage. Pour les gens qui lisent que du franco belge, c’est très manga ; pour ceux qui lisent du manga, ils ne voient pas beaucoup de manga ! J’ai de la chance car du coup, je peux attirer ces deux publics !

Vous retrouvez-vous dans cette appellation du manga français ? Vous revendiquez ce double héritage ?
Tout à fait, je le revendique ! J’ai dédicacé à la Japan Expo par exemple, et je m’y sens à ma place !
L’année du dragon est aussi une série atypique, dans le fond comme dans la forme. Trois volumes centrés sur trois personnages qui se croisent au rythme de leurs vies sentimentales. Comment s’est passée la collaboration avec F. Duprat ? Et nouveauté, la couleur ! Qui a assuré la colorisation ?
C’est moi qui ai fait la colorisation et c’est pour ça que j’en ferais plus !!! C’est trop long, fastidieux. Si je dois le refaire, ce sera différemment !
François était aussi aux Beaux Arts en même temps que moi, la classe au dessus. Mais comme on est souvent mélangé par niveaux, on pouvait échanger et on s’est aperçu qu’on avait des univers très proches malgré des influences très différentes, lui venait du franco belge et détestait le manga ! On a travaillé ensemble, lui dessinait certaines parties (celles du dragon), dont le dessin est volontairement différent du mien. La collaboration s’est bien passée, il faisait des critiques, je disais non et voilà, c’est moi qui avais le dernier mot !
On a mis un an à faire l’album, 150 pages en noir et blanc ou 46 pages couleurs, c’est le timing qu’il me faut !

C’est un rythme soutenu ! Vous travaillez beaucoup ?
Je dessine tous les jours, les premiers mois sont plutôt cool mais plus on se rapproche de la deadline, plus c’est n’importe quoi, plus de samedi, plus de dimanche, plus de soirée, les trois derniers mois sont très intenses !

Vous arrivez à garder le plaisir de dessiner ?
Il y a parfois des moments de passage à vide. Mais c’est mon propre projet, mon scénario, mes personnages et c’est donc motivant pour avancer.
-Avez-vous au départ une idée précise de votre scénario ?
J’ai une trame générale au départ, il ya des moments clés que je contrôle et entre les deux, c’est au feeling ! C’est plutôt dans la forme, la mise en page, la mise en scène les dialogues proprement dits que c’est plus flou… C’est là que c’est un peu la panique parfois ! Dessiner, ça va encore, mais quand on doit encore créer, imaginer des scènes alors que la date butoir approche… J’ai de la chance d’avoir un éditeur qui me fait confiance et ne me demande pas à l’avance des planches.

Votre éditeur vous fait des remarques, vous donne des conseils ?
Ce sont des gens très bien, ils ne me disent rien !!! Non, ils suivent, font des commentaires mais plutôt dans le bon sens jusqu’à présent ! Je fais relire mes planches à François Duprat avec qui je partage le même atelier à Lilles et aussi à mon copain. C’est plutôt pour avoir des avis sur des questions de dialogues, de compréhension, de placement des bulles que sur l’histoire elle-même.

Comment travaille-t-on en atelier ?
On se donne RV à 10 heures, on est tous là à 10h30, 10h40… Le soir, c’est très variable, 18h ou 20h. On emmène aussi des choses à finir chez nous…Chacun travaille sur son projet personnel, on se montre ses planches tous les deux jours, c’est aussi une façon de se réassurer. D’autres travaillent à deux sur un projet commun souvent après s’être rencontrés d’ailleurs dans le cadre de l’atelier.

Le scénario, le découpage, le dessin
, vraiment trois étapes différentes ?
Le scénario et le découpage vont vraiment ensemble et sont pour moi liés. Certaines pages sont écrites pour un cadrage particulier que j’ai en tête. Je ne pourrai pas raconter autrement qu’en dessin. La bande dessinée est vraiment le moyen qui me convient !
Venons en à votre série Celle que. Ce choix du titre qui joue sur la répétition et la déclinaison (celle que je ne suis pas / que je voudrais être / que je suis) est une jolie trouvaille ! En évitant le prénom trop précis, ça permet d’entretenir le mystère et de stimuler l’imaginaire du lecteur.
En fait, j’ai eu des lecteurs plutôt jeunes qui ne comprenaient pas ce titre !
En même temps, en passant de la négation à l’affirmation, on comprend que l’on va suivre l’évolution de ce personnage et assister à son épanouissement.
Oui et j’aime aussi l’idée que les personnages secondaires évoluent aussi !

Les premières pages sont assez représentatives de votre style. On y voit un joli enchainement de cadrages qui tout en étant très opposés (plongée / contre plongée) permet une lecture très fluide. L’absence de commentaires narratifs, un décor très réaliste et en même temps une façon suggestive d’à peine ébaucher le visage de Valentine, une utilisation des trames qui permet des nuances expressives de gris, une capacité à exprimer les émotions du personnage à travers ses attitudes, un trait épuré… tout cela rappelle des auteurs de josei manga comme Kiriko Nananan ou Yamaji Ebine…
Interventions du public
On apprend beaucoup de choses sur le monde des adolescents, la vie quotidienne à l’école…
Chez moi, tout le monde a lu cette bande dessinée, ma fille de 11 ans, moi-même, son père, son grand frère…et on a pu tous en discuter ! C’est très ancré dans lé réalité et en même temps c’est intemporel ! Personnellement, je me suis retrouvée aussi bien dans le personnage de la mère que dans Valentine…

Tentons de découvrir les scènes dont vous précisez en avant propos qu’elles ont été conçues avant le scénario de Celle que et réintégrées dans le cours du récit. Serait-ce la scène du camping ?
Non !

Alors, celle où Valentine perd ses amis et erre dans les rues la nuit ?
Ouiiii !

Quelles sont vos lectures ?
Du manga, de la bande dessinée et du comics issu de l’édition indépendante. En vrac, Taniguchi, Kiriko Nananan, Adachi (Tough, H2) ; Undercurrent, Mari Okazaki (Complément affectif), Inoue (Real), YotsubaAya de Yopougon ! j’aime aussi les romans de Murakami, le polar suédois et je regarde aussi des séries télévisées… On se nourrit de tout !
Je travaille tout le temps à partir du moment où il y a des gens autour de moi, à la caisse du supermarché, dans le métro, dans le train… Ado, j’étais très timide comme Valentine ; je passais mon temps à regarder comment les autres se comportaient, car je ne savais pas comment faire !
Alors, c’est autobiographique ?!
Non, il n’y a pas que moi dans ce personnage ! Je m’inspire beaucoup de ce que j’observe. L’immeuble d’en face par exemple existe. J’habitais en face d’un immeuble, il n’ya avait pas de rideau aux fenêtres, j’ai vu des silhouettes, j’ai brodé ! Chaque personnage est un mélange de 4 ou 5 personnes que je connais en vrai qui en général ne se reconnaissent pas ! Mais ce n’est pas la réaliste brute, je compose ! Sauf pour les décors qui en général existent pour de vrai car là, je n’ai pas trop d’imagination.

Quel est le profil de vos lecteurs ?
Un public féminin jeune, bien que j’ai conservé une partie du lectorat de L’immeuble d’en face, que je qualifierai d’adulte mixte ! Et même si les filles sont les personnages principaux, les garçons ne sont jamais loin, elles en parlent aussi beaucoup !

Pourquoi la bande dessinée n’attire pas ou laisse si peu de place aux auteures ?
Tout d’abord, il n’y avait pas beaucoup de bande dessinée il ya encore 10 ans intéressante à lire pour les filles, et beaucoup de dessinatrices se tournaient plutôt vers l’illustration jeunesse. Aux Beaux Arts, en section BD, sur 25, on était 4 filles…L’influence du manga dans ce domaine est positive, il y a surement un peu plus de dessinatrices de bande dessinée dans ma génération mais il y en aura encore plus dans la suivante…

Vos albums ont tous le même format bien que publiés chez des éditeurs différents. Fruit du hasard ou habile marketing ?
Dargaud a choisi intentionnellement ce format pour que l’album soit effectivement mieux identifié. C’est aussi le cas pour lé réédition de L’année du Dragon. Ce n’est pas un format vers lequel se dirige spontanément un lecteur adolescent. Mais un adulte qui s’intéresse à la bd va facilement le repérer et l’acheter pour l’offrir à un ado…

Vos projets ?
Normalement, le tome 3 de L’immeuble d’en face, début 2010 ; le tome 3 de Celle que, fin 2010. Et puis, après un nouveau récit, probablement un one shot. Ca parlera de métissage et ça se passera en France. En 2006, j’ai participé à un collectif intitulée Corée (Casterman/Ecritures) et j’ai envie de reprendre deux personnages crées à cette occasion, un frère et une sœur franco-coréens.

Merci Vanyda !
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