Interview d'Emmanuel Guibert

Cette interview a été réalisée à CONTACT FM en mai 2003 au Lycée Professionnel Maréchal Leclerc, les questions ont été préparées et posées par deux élèves de troisièmes professionnelles, Joachim et Elodie dans le cadre d’un travail global sur la bande dessinée. L’émission est animée par Agnès Deyzieux, documentaliste.

L’essentiel de cette interview radiophonique est ici retranscrite, quelques petits points ont été complétés par des détails apportés par Emmanuel Guibert lors de son passage dans les classes.


-Depuis quand avez-vous cette passion de la bande dessinée ?

La bande dessinée, j’en fait depuis que je suis petit enfant pour la raison que j’en lis depuis que je suis petit enfant, à vrai dire on m’en a même lu avant que je sache moi-même en lire. J’ai encore en tête la voix de ma grand-mère en train de faire les imitations nécessaires pour interpréter tous les personnages de Objectif lune et On a marché sur la lune … J’ai aimé la bande dessinée depuis l’enfance, j’ai pratiquement tout de suite su que c’était ça que je voulais faire. Ce qui est très agréable, parce que dans la vie, il est parfois cuisant de se poser la question longtemps de savoir ce que l’on va faire plus tard, j’ai eu la réponse à trois ans et demi, ça m’a facilité la tâche ensuite !

-Après avoir lu des bandes dessinées, vous avez décidé d’en écrire, pourquoi ?

ça s’est fait naturellement dans le même mouvement… Chez mes parents, il y a un placard plein de petites bandes dessinées qui racontent des histoires familiales ayant pour héros mon père, ma mère, mes grands-parents… Depuis que je suis tout petit, c’est un mode d’expression naturel. Il est naturel pour moi d’associer les mots, les images pour faire passer un message. J’ai toujours aimé dessiner et écrire, j’ai toujours fait ça aussi longtemps que je m’en souvienne.

-Alors, à quel âge avez-vous fait votre première bande dessinée ?

La toute première, impossible à dire car j’étais tout petit, par contre je me rappelle la première qui a été publiée, j’avais 13 ans et demi.

-Et c’était quoi ?

C’était dans un journal de motos. J’ai jamais été un fan de motos mais je lisais ce canard parce qu’il y avait de la bande dessinée dedans. Et il y avait un concours, j’ai décidé d’envoyer ma contribution à ce concours. J’ai évidemment été fier comme un pou parce que j’ai reçu le journal par la poste avec ma bande dessinée, mon nom, mon âge, etc. … et puis le commentaire d’un des rédacteurs : « c’est bien, il faut continuer etc.… ». De toute façon, j’aurai continué ! Ensuite, j’ai republié quand j’avais 15 ans. L’aéroport de Lyon, m’a demandé –enfin, c’était du piston car j’avais un tonton qui travaillait là – de réaliser une bande dessinée pour accueillir les passagers de l’aéroport, leur expliquer les différents services… Je suis allé faire un reportage là-bas, on m’a fait visiter de fond en comble cet aéroport à l’époque très moderne, j’ai fait ça très consciencieusement et ensuite rentré chez moi, j’avais pondu à mon petit scénario et inventé des petits personnages… Ca aussi, c’est paru, j’étais content, toutes ces parutions m’encourageaient dans ma vocation, dans mon désir de faire de la bande dessinée.

-Et dans vos lectures de jeunesse, y a-t-il des auteurs de bande dessinée qui vous plaisaient ou vous inspiraient ?

J’étais un gros lecteur de bande dessinée parce que j’avais la chance d’avoir des parents qui m’en offraient volontiers et qui donc ne m’interdisaient pas d’en lire, ce qui n’était pas le cas d’un certain nombre de parents… Chez moi, c’était bibliothèque ouverte, comme j’avais beaucoup de livres, les amis venaient les barboter, les rendaient quand ils voulaient. Mais j’en avais qui venaient avec de grands imperméables et qui rentraient chez eux et qui lisaient Tintin à la lueur d’une lampe de poche sous leurs draps ! Ca paraît une autre époque, je ne sais pas si ça existe encore mais en tout cas, il n’était pas évident que les enfants aient un accès aussi libre et profus à la bande dessinée que je l’ai eu. J’ai lu beaucoup de chose et j’ai aimé beaucoup de choses. Il y a quelqu’un pour moi qui est un dieu hélas pas vivant, c’est René Goscinny, puisqu’il est mort à la fin des années 70, scénariste de Astérix, Lucky Luke, Iznogood, toutes sortes de personnages que le monde connaît vraiment et du Petit Nicolas, une œuvre qui est particulièrement chère à mon cœur. Quand on me demande de citer une personnalité qui m’a marqué, je dis souvent Goscinny, parce qu’il a beaucoup formé mon goût, mon intelligence, mon sens de l’humour, il m’a appris énormément de choses. J’insiste toujours sur le fait que la bande dessinée outre le fait qu’elle est une distraction et qu’elle éveille l’esprit de plein de manière, exerce aussi un magistère sur les gens qui la lise : on peut apprendre beaucoup d’autres choses pour le biais de la bande dessinée. Moi, ça a été mon cas, et celui, je pense qui m’a le plus apporté, c’est cet homme, parce qu’il était drôle et j’ai la tentation notamment quand j’écris une histoire pour les petits, par exemple Sardine de l’Espace et Ariol, de faire rire les petits avec ces personnages. J’ai reçu une lettre d’une petite fille qui m’a écrit il y a quelques mois «Vous me faites rire même quand je suis malade ». Ca, ca me fait un plaisir immense. Objectif réussi puisque ma première vocation pour les enfants, sans perdre de vue le fait qu’il est agréable de leur apprendre des choses par le truchement de la bande dessinée, la vocation c’est quand même de les faire marrer.

-Vous ne visez que les enfants ?

Non, je fais des bandes dessinées qui s’adressent à un public plus large. Mais même quand je fais des bandes dessinées pour adultes, je me rends compte que je suis lu par des enfants. Mon plus petit lecteur (déclaré) de la Guerre d’Alan que pourtant je ne pensais pas du tout être un livre accessible aux enfants, enfin le plus petit lecteur déclaré, il a 10ans : «Ouais c’est formidable ! Quand est-ce qu’il sort le prochain ? ». Ca veut dire que quand on a le souci de raconter des histoires de la façon la plus accessible et la plus claire possible même si se sont des histoires compliquées, si on ne perd pas de vue la fluidité de la lecture, on peut toucher tout le monde, y compris des petits enfants pour des histoires assez subtiles et assez compliquées.

-D’où vient votre inspiration ?

Ca c’est difficile à dire… je pense que l’inspiration ça se cultive, c’est un peu un muscle. Si on se contente de rêvasser et de ne jamais mettre sur papier le fruit de ses rêvasseries, on peut avoir une vie très agréable de rêvasseries mais on n’aura pas une imagination développée pour autant. Quand on commence, à partir de ses rêvasseries, à inventer des personnages, à leur trouver des petites histoires à vivre mois après mois, on se rend compte que, petit à petit, ce que les gens appellent communément l’imagination se développe, les idées viennent plus facilement. J’y suis professionnellement contraint –pour gagner ma vie et puis aussi parce que ça me plaît de raconter beaucoup d’histoires. J’écris entre une vingtaine, une trentaine de pages de scénarios par mois en plus de mes activités de dessinateur. Donc, je suis contraint tous les mois de trouver des histoires pour mes personnages, des rebondissements, des sources d’inspiration. Ca m’a conduit à regarder la vie différemment. Je vois par exemple une personne en rencontrer une autre dans la rue et avoir un échange amusant, je sais que ça pourrait être un ferment pour une histoire, donc je suis attentif à tout ce qui se passe autour de moi et plus attentif à la façon que je pourrais avoir de retraiter, d’utiliser ce matériau vivant que je vois devant moi, mes proches, des inconnus que je croise, pour les recycler dans mes histoires. Ca consiste à avoir des antennes développées et vibratiles comme certains insectes, que ces antennes soient déployées en permanence et très attentives à tout ce que la vie peut présenter d’échange, de cocasse, de vrai surtout. J’ai un souci d’insérer toujours des choses même dans les histoires les plus échevelées, de science-fiction, je veux toujours qu’il y ait quelque chose de l’ordre de la vie, quelque chose que les gens puissent identifier en disant : « Ah, c’est vrai, c’est comme ça que ça se passe ! ». Dans Sardine de l’espace, le Tonton paye une panoplie aux enfants, il faudra que Petit Lulu réclame de dormir avec. Parce qu’enfant, quand on vient de vous acheter quelque chose qu’on aime beaucoup, on n’a pas envie de s’en séparer, même pour une nuit ! Quand je mets ce genre de réflexion dans mes histoires, ça me fait du bien, j’ai l’impression d’introduire des choses que j’ai ressenti enfant et dont je sais que la plupart des gens l’ont ressenti aussi.

-Comment est née Sardine ? Qui en a eu l’idée ?

Je faisais partie d’un atelier de 7 personnes (Marjanne Satrapi, David B., Christophe Blain…), un milieu effervescent, très stimulant. Joann (Sfar) cherchait un scénariste pour une histoire de Science-Fiction, destinée aux enfants. Il demande à Alain Ayroles qui refuse. J’avais entendu la conversation, je me suis proposé ! Sardine était écrite deux ou trois jours plus tard, le personnage ayant été crée par Joann. Actuellement, on a à peu près 600 pages scénarisées de Sardine, un huitième volume est sur le point de sortir…. Pour l’instant, tant que les idées viennent, tant que les personnages demandent à exister, je continuerai à les animer. Le jour où je serais à sec, je passerai à autre chose, d’autant plus que j’ai plein d’autres séries en route !

-Combien de temps mettez--vous, de l’idée à la publication ?

Sardine, par exemple, paraît tous les mois dans un journal Dlire (chez Bayard Presse). Ca implique que je leur livre 10 pages tous les mois, ce qui fait que je pense régulièrement à mes personnages. De temps en temps, une bonne idée vient et je me dis : « Tiens, ça serait bien pour l’univers de Sardine »…

L’idée directrice, quand on veut raconter une histoire marrante, c’est de bombarder un personnage dans un univers qui n’est pas fait pour lui. On prend un univers extrêmement sérieux, par exemple celui de l’entreprise où les gens viennent travailler en cravate, et on y met un Pierre Richard, un acteur rêveur ou gaffeur qui vient gripper la mécanique… (Guibert raconte un film de B. Edwards intitulé la Party, qui illustre son propos).

Ca répond à une nécessité presque mécanique de mettre dans un univers un élément exogène qui ne réagit pas comme les gens de cet univers et qui le rend marrant. Ca, c’est l’idée de départ. Ensuite vient très vite le découpage. Je me mets à formaliser tout ça sous forme de bande dessinée, je mets des cases, je trimbale mes petits personnages dedans. Tout ça, c’est comme une espèce de brouillon, pour mettre mes idées en place. Dès que l’histoire est écrite, je me mets à dessiner tout ça, je le fais le plus vite possible, généralement en deux jours, l’épisode de 10 pages est fait. Je l’envoie à mon éditeur qui –si tout va bien- l’imprime et le fait paraître. Pour que le livre paraisse, il faut qu’il y ait suffisamment d’épisodes pour qu’ils puissent être regroupés. Généralement, un bouquin compte 5 épisodes.

-Comment résumeriez-vous La Guerre d’Alan ?

C’est le fruit d’une rencontre avec quelqu’un qui est devenu un ami très proche. Malheureusement, il est mort en 1999 d’un cancer. Mais on a eu 5 ans pour être copain, lui qui avait près de 70 ans et moi 30 quand on s’est rencontré. Ce monsieur m’a raconté sa vie, ses souvenirs comme le fait volontiers une personne âgée à une personne plus jeune. J’ai trouvé ces souvenirs absolument captivants. Non pas qu’il ait vécu des choses vraiment extraordinaires, bien qu’il ait fait la seconde guerre mondiale, ce qui en soi était déjà une chose extraordinaire… C’était surtout sa façon de raconter les choses qui m’a séduit et très rapidement, je lui ai proposé qu’on fasse des livres biographiques ensemble. Il a été non seulement d’accord mais très enthousiaste. Donc, on s’est mis au travail tous les deux pendant les quelques années que la vie nous a laissé pour être copains. Malheureusement, il n’a pas vu les livres, mais il a vu un certain nombre de pages se constituer et il était très heureux et très fier qu’on fasse ce travail ensemble. Et maintenant, c’est à moi d’être heureux et fier parce que ça marche pas mal, ça donne lieu à des expositions… Je reviens d’un salon de bande dessinée qui a eu lieu à Lisbonne et il y a avait une exposition consacrée à Alan. Je vois des gens, des étrangers écrire des articles sur lui, je vois que son nom, son témoignage se diffuse, je pense au bonheur qu’il aurait eu à voir tout ça. C’est un bonheur que j’éprouve pour deux… Il y aura de nombreux tomes – 7 en tout : 3 sur la guerre, 3 sur son enfance et un septième vraisemblablement sur lui tel que je l’ai connu, c’est à dire le vieux monsieur qu’il était quand on était amis.

-En fait, vous l’avez enregistré, pendant qu’il vous racontait ses souvenirs. Comment avez-vous sélectionné ses souvenirs ?

Sur la période de son enfance et de la guerre, je vais raconter la quasi-totalité de ce qu ‘il a bien voulu me raconter lui-même, parce que ça n’engage pas de personnes vivantes aujourd’hui. On s’est ensemble beaucoup raconté de choses sur sa vie d’adulte mais là, pour le coup, ça ne donnera pas lieu à des livres pour des raisons de discrétion évidente. Il est arrivé qu’il me livre plusieurs versions d’une même anecdote, à ce moment là, je choisis le jour où il était le plus disert et le plus inspiré ! Mais en règle générale, j’ai le souci de raconter la quasi-totalité de ce qu’il dit car encore une fois, même s’il s’agit de menus faits, de petites choses, la façon qu’il a de les raconter ne les rend jamais indifférentes.

-C’est vrai qu’Alan a un véritable talent de conteur. Il semble qu’on entend sa voix en le lisant…

J’ai pour ambition d’ailleurs peut-être pour le troisième volume ou ultérieurement de graver un CD qui serait en vente avec le livre; comme ça, les gens pourraient à la fois entendre sa voix et lire l’épisode en même temps.

-Qu’est-ce qui vous attire dans le témoignage biographique ?

Quand je rencontre des gens qui ont eu une vie intéressante, j’ai envie de mettre mes mains et mon intelligence à leur service pour essayer de tirer quelque chose. Et donc, c’est une modalité de travail que j’ai employé systématiquement avec Alan et je continuerai à le faire avec d’autres. Le projet qui m’occupe actuellement, c’est aussi un témoignage pour lequel j’ai procédé de la même manière, enregistrement et développement ensuite. Avec un reporter photographe (Didier) qui est un bon copain et qui depuis plusieurs années, quand il rentre de mission, me montre ce qu’on appelle des planches contacts. Ce sont des photographies minuscules, sur fond noir, en bande, telles qu’elles sont sur la pellicule et qui permettent au photographe de sélectionner avec une loupe les photos qui seront tirées. C’est un objet très intéressant qui ressemble à une bande dessinée, ça se lit tel quel ! L’œil balaie la planche dans le sens de la lecture et si vous avez la chance d’avoir avec vous le photographe qui vous explique ce qui se passe dans chacune des photos, on est pratiquement en train de feuilleter un livre. Ca nous a donné l’idée de faire un bouquin ensemble sur une de ses missions photographiques, où l’on mélangera mes dessins et ses photos. Didier a accompagné une mission de Médecins sans frontière en 1986 pour un reportage en Afghanistan (alors que l’Union Soviétique était en guerre contre les résistants afghans). Il a pris en photos tout ce qu’il a vu pendant trois mois, en sachant qu’ils ont vécu un périple incroyable, dont plusieurs cols de 5000 mètres à franchir …Je suis très admiratif de ces médecins qui quittent leur pays d’origine pour aller soigner ces gens au bout du monde, dans des conditions très dangereuses….

J’ai aussi un projet avec un architecte de jardin qui a une vision captivante de son métier et qui a fait énormément d’expériences botaniques, c’est pareil, j’ai envie -par le truchement de ce qui ne sera peut-être pas une bande dessinée d’ailleurs, qui sera peut-être un livre illustré- de faire partager l’expérience de cet homme à un plus grand nombre….

Je vois des gens qui ont une existence passionnante mais qui n’ont pas les moyens de la partager autrement que par la parole. La parole, c’est merveilleux mais c’est restreint…Il faut quelqu’un qui batte le tambour, donc c’est moi qui m’en charge, je prends le témoignage de ces gens et je lui donne une forme, celle de la bande dessinée, qui permet de circuler. Il y a des gens, de parfaits inconnus pour moi, qui viennent vers moi pour me demander comment j’ai rencontré Alan, qui il était … et ça me touche, car c’est aussi une façon de combattre sa disparition. Quand on a un copain, on n’a pas envie qu’il disparaisse, c’est une façon de faire survivre sa parole.

-Pourquoi ne faites-vous pas une bande dessinée sur vous ?

En fait, je crois que je me mets énormément dans mes bandes dessinées mais de façon filtrée. J’ai des copains qui font des autobiographies qui se présentent tels qu’ils sont, avec leur nom, leur petite famille, et qui racontent leur vie de tous les jours. Moi, je n’ai pas envie de le faire, par contre quand j’écris Sardine ou Ariol et même d’une certaine façon quand je raconte les aventures d’Alan, je mets beaucoup de moi mais ça n’apparaît pas au premier degré, c’est un peu planqué…

-Quel est votre album préféré ?

C’est souvent celui qu’on est en train de faire ! C’est donc Le Photographe, dont je vous ai parlé précédemment qui paraîtra dans la collection Aire Libre, chez Dupuis, prévu en trois volumes.

-Dans quel rôle vous sentez-vous le plus à l’aise, celui de scénariste ou celui de dessinateur ?

Je n’imagine pas d’avoir fait ce métier sans tâter les deux. Le fait de faire les deux permet de collaborer avec des personnes différentes. On écrit pour moi, j’écris pour d’autres. Il faut néanmoins une grande confiance, une amitié avec son scénariste… Ca permet de changer de strapontin comme ça régulièrement, c’est rafraîchissant ! Je pense que ce qui guette les gens dans la vie, quelque soit le métier qu’on exerce, c’est l’usure, le fait de faire sans arrêt les mêmes choses. Petit à petit, on se vide, on ne sait plus, on finit par plus savoir pourquoi on fait ce métier pour la simple raison que, grosso modo, tous les jours, les procédures sont les mêmes, on répète les mêmes gestes…etc. . C’est important dans le cadre d’un même métier –et je n’ai guère envie d’en faire d’autre- de trouver différentes façons de le faire pour se maintenir en vie, pour maintenir une espèce d’énergie, de curiosité, de désir de faire des choses différentes. Écrire, dessiner, écrire et dessiner, tout ça c’est des choses qui me permettent de vider régulièrement ma table de ce qui est dessus, de poser une feuille blanche et de me donner à chaque fois la sensation de recommencer.

-Quelles sont vos techniques de dessins ?

Là aussi, même syndrome ! J’ai envie de changer pour ne pas me rouiller. D’un album à l’autre, j’essaie de faire des choses différentes. J’ai repris intégralement les histoires de Sardine qui étaient dessinées par un copain (Joann Sfar). Je les dessine sans brouillon, je me lance directement avec ma plume sur le papier blanc, je raconte l’histoire telle qu’elle me vient. Par contre, Alan, c’est beaucoup plus concerté. En même temps, c’est des dessins que j’essaie de contenir dans une certaine simplicité. Mon principe est de ne mettre rien de plus qu’il est nécessaire dans une case pour qu’elle soit compréhensible. Dès qu’on a pigé où on est, qu’on a ressenti une certaine ambiance, j’arrête. Alors qu’il y aura d’autres histoires où j’aurais volontiers envie d’être plus anecdotique, de mettre plus de choses… Je pense que le style de dessin et la technique de dessin employée doivent convenir à l’histoire, c’est pour ça que je change à chaque fois.

-Quels sont vos éditeurs ?

Les principaux ? Car il y en a une tripotée ! C’est pas à vrai dire qu’il faille changer, je suis fidèle à chacun d’entre eux à ma manière, mais en faisant des choses différentes chez les uns et les autres. L’édition pour enfants, c’est Bayard. Chez Dupuis, j’ai fait la Fille du professeur, Le Capitaine écarlate et je fais Les Olives noires et bientôt Le Photographe. Pour Alan, c’est l’Association, une maison d’édition particulièrement chère à mon cœur. Née il y a une dizaine d’années de l’association de 6 auteurs de bande dessinée qui en avaient marre de passer par les fourches caudines des éditeurs de bande dessinée et qui ont décidé de se regrouper pour publier ce qu’ils voulaient, à commencer par eux mais aussi tous les gens en qui ils se reconnaitraient. Ils ont fondé cette structure qui était au début assez balbutiante mais qui a rapidement pris de l’essor parce que ce sont des gens intéressants qui font des choses intéressantes et qui maintenant occupent une position très singulière et très agréable dans le monde de la bande dessinée. A l’Association, on a vraiment une grande liberté d’action pour faire les choses les plus exigeantes. Quand j’ai commencé à faire La Guerre d’Alan chez eux, je ne pensais pas que j’aurais pu placer ce live chez un grand éditeur parce que c’est du noir et blanc, à vocation un peu littéraire. Sans doute, ça aurait fait peur aux gros éditeurs. Un gros éditeur a besoin de tirer beaucoup de livres alors qu’un petit éditeur peut se permettre de faire des petits tirages, et puis, petit à petit, de les accumuler.

-Qu’est-ce qui vous plait tant dans la bande dessinée, à la fois en tant qu'auteur et lecteur ?

Toutes les raisons que j’ai de l’aimer, elles remontent à mon enfance. Encore une fois, je trouve que la bande dessinée a été très formatrice pour moi, très distrayante, elle m’a beaucoup fait rêver. Je l’ai toujours trouvée très poétique comme moyen d’expression, je trouve que l’association d’un dessin et d’un texte qui se soutiennent, qui se répondent, qui parfois se contredisent, ça laisse énormément de possibilités.

J’aime aussi en fabriquer parce que là aussi, il y a une liberté extraordinaire. J’ai pas énormément tâté de cinéma, j’ai eu quelques expériences sporadiques dans la pub. , ce sont des mondes très lourds qui nécessitent une industrie colossale, il y a beaucoup d’argent en jeu, beaucoup de techniciens. Alors qu’avec un papier et un crayon, on peut se payer tout ça sans sortir son porte-monnaie ! Et obtenir rapidement un livre dans lequel il y a des milliers de figurants, des éclairages tous plus sophistiqués les uns que les autres, des effets spéciaux extraordinaires qui vont faire rêver autant qu’un film… C’est cette liberté là que j’aime bien. En plus, c’est un genre dont les limites peuvent être sans cesse repoussées, d’autant plus que la stricte expression dans lequel on le connait, sans remonter aux enluminures, est relativement jeune. Donc, il y énormément de choses à faire, et en ce moment particulièrement, j’ai l’impression que des petits jalons supplémentaires sont posés sur le chemin de ce mode d’expression qui n’a pas fini de nous faire plaisir.

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